Logiciels et inventions : qui est titulaire des droits de propriété intellectuelle ?
10 mars 2022.
Logiciels et inventions : extension de la dévolution des droits à l’employeur
L’ordonnance n°2021-1658 du 15 décembre 2021[1] étend le régime de dévolution légale à l’employeur des droits patrimoniaux sur les logiciels et les inventions brevetables créés par des personnes physiques qui ne sont pas titulaires d’un contrat de travail ou qui ne bénéficient pas du statut d’agent public.
Jusqu’à ce texte, une telle dévolution légale ne concernait que les créations et les inventions réalisées par les salariés et les agents publics. Elle était appliquée de manière restrictive par les tribunaux.
En créant les articles L. 113-9-1 et L. 611-7-1 du code de propriété intellectuelle (CPI), l’ordonnance étend le champ de cette dévolution légale au-delà des salariés et des agents publics, sans toutefois régler toutes les situations rencontrées dans la pratique. Le contrat conserve donc toute son utilité.
1/ La titularité des droits sur un logiciel et sur une invention brevetable créés par un salarié ou un agent public
En application de la directive concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur du 14 mai 1991, codifiée en 2009, le logiciel est considéré comme une œuvre littéraire et bénéficie à ce titre de la protection du droit d’auteur, dès lors qu’il est original.
La nature particulière de l’œuvre logicielle n’a toutefois pas permis de lui appliquer le régime du droit d’auteur existant.
Le régime de protection des logiciels diffère donc sur plusieurs points du régime applicable aux autres catégories d’œuvres, notamment en ce qui concerne la définition des droits d’exploitation et de leurs limites, le droit moral, la notion d’originalité ou la titularité des droits.
Sur ce dernier point, l’auteur personne physique est par principe titulaire des droits sur sa création.
- En matière de logiciel: L’article L. 113-9 du CPI déroge à ce principe en prévoyant que les droits patrimoniaux sur les logiciels et leur documentation créés par un employé ou un agent public dans l’exercice de ses fonctions ou d’après les instructions de l’employeur sont dévolus à ce dernier.
- En matière d’invention brevetable : Le droit au brevet appartient par principe à l’inventeur. L’article L. 611-7 du CPI déroge à ce principe en prévoyant que le droit au brevet sur une invention réalisée par un salarié ou un agent public appartient ou peut appartenir à l’employeur, en fonction de la nature de l’invention. Trois situations peuvent se présenter :
-
- Pour les inventions « de mission», c’est-à-dire les inventions créées par le salarié ou l’agent dans l’exécution soit de son contrat de travail, si celui-ci comporte une mission inventive correspondante à ses fonctions effectives, soit d’études et de recherches qui lui sont explicitement confiées, le droit au titre appartient à l’employeur ;
- Pour les inventions « hors mission attribuables», c’est-à-dire les inventions entrant dans un domaine d’activité de l’employeur ou celles réalisées par le salarié ou l’agent dans l’exécution de ses fonctions ou grâce aux moyens mis à sa disposition par l’employeur, le droit au titre appartient à l’inventeur mais l’employeur peut se faire attribuer la propriété de l’invention ou sa jouissance ;
- Pour les inventions « hors mission et non attribuables», c’est-à-dire les inventions créées en dehors de toute mission confiée par l’employeur et ne présentant aucun lien avec son activité, le droit au titre appartient au salarié ou à l’agent.
2/ L’application stricte par la jurisprudence des règles dérogatoires de dévolution.
Jusqu’à l’intervention de l’ordonnance du 15 décembre 2021, la jurisprudence faisait une application stricte des règles dérogatoires de dévolution des droits à l’employeur, qu’elle n’appliquait qu’aux salariés et agents publics stricto sensu.
Par exemple, la jurisprudence n’appliquait pas ce régime dérogatoire aux stagiaires.
Ainsi, en absence d’une stipulation contractuelle particulière, la jurisprudence retenait que le stagiaire réalisant une invention au cours de son stage dans un laboratoire public demeurait titulaire des droits sur le brevet déposé[2].
De même, dans une décision du 22 février 2010, le Conseil d’État a retenu que les droits de propriété intellectuelle sur une invention réalisée par un étudiant pendant son stage appartiennent à l’inventeur et non à l’organisme de recherche d’accueil, le règlement interne d’un laboratoire public ne pouvant pas attribuer à l’établissement de recherche la propriété du brevet de l’invention d’un étudiant[3].
3/ L’extension limitée du régime de la dévolution légale des droits opérée par l’ordonnance du 15 décembre 2021
L’ordonnance a pour objet d’étendre le régime de la dévolution légale des droits aux personnes physiques qui ne sont pas titulaires d’un contrat de travail ou du statut d’agent public.
Elle vise ainsi à créer un cadre légal permettant une dévolution automatique des droits patrimoniaux sur les logiciels et des droits de propriété industrielle sur les inventions réalisées par ces personnes physiques au sein et avec les moyens de la personne morale d’accueil dans le cadre des missions et activités qui leur sont confiées.
- En matière de logiciel :
Sont concernées par la dévolution légale de leurs droits au profit de la structure d’accueil les personnes qui ne sont pas salariées ou agents publics et qui : « (…) sont accueillies dans le cadre d’une convention par une personne morale de droit privé ou de droit public réalisant de la recherche créent des logiciels dans l’exercice de leurs missions ou d’après les instructions de la structure d’accueil (…), si elles se trouvent à l’égard de cette structure dans une situation où elles perçoivent une contrepartie et où elles sont placées sous l’autorité d’un responsable de ladite structure. » (Article L. 113-9-1 du CPI).
- En matière d’invention brevetable :
Est concerné par la dévolution légale de ses droits au profit de la structure d’accueil l’inventeur qui est une personne physique qui n’a pas le statut de salarié ou d’agent public et qui : « est accueillie dans le cadre d’une convention par une personne morale de droit public ou de droit privé réalisant de la recherche (…) »(Article L. 611-7-1). Dans ce cas, la dévolution des droits de l’inventeur dépendra de la nature de l’invention (de mission, hors mission attribuable ou hors mission non attribuable).
Cette extension du domaine de la dévolution légale des droits apparait limitée tant en ce qui concerne les personnes concernées par la transmission de leurs droits que les structures d’accueil bénéficiaires.
Sur le premier point, les nouveaux articles du CPI s’appliquent aux personnes physiques accueillies dans le cadre d’une convention par une personne morale de droit privé ou de droit public réalisant de la recherche. Le rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance précise qu’il peut notamment s’agir de stagiaires, de doctorants étrangers et de professeurs ou de directeurs émérites[4].
4/ Les limites : le contrat de cession de droits conserve toute sa place !
Ce texte ne concerne donc pas les mandataires sociaux qui restent propriétaires des droits sur les logiciels et les inventions qu’ils réalisent pour la société qu’ils dirigent. Le contrat demeure l’instrument pertinent dans ce cas.
Pour ce qui concerne les prestataires de services, ils ne sont a priori pas visés par la réforme, sauf à considérer que le contrat de prestation de service est une « convention » au sens des articles L. 113-9-1 et L. 611-7-1 du CPI. Là encore, le contrat conserve toute sa place.
Par ailleurs, la réforme ne bénéficie pas à toutes les personnes morales de droit privé et de droit public, mais aux seules structures d’accueil réalisant de la recherche. A défaut de définition de cette notion de « structure d’accueil réalisant de la recherche », il appartiendra aux tribunaux d’en dessiner les contours, au fil des cas d’espèce. Le contrat pourra limiter les incertitudes.
De même, la question de la dévolution des droits n’apparait pas réglée pour les PME et les start-ups. En effet, ces petites structures ne disposent généralement pas d’une telle structure de recherche. Il est donc préférable pour ces sociétés de traiter contractuellement avec soin cette question de la dévolution des droits avec leurs personnels, quel que soit le statut, afin de protéger leurs actifs immatériels.
Au final, la réforme n’apparait donc pas régler de manière sûre et définitive la question de la dévolution des droits sur les créations logicielles et sur les inventions brevetables.
Ce qu’il faut retenir :
- La dévolution légale des droits des créateurs de logiciels et des inventeurs salariés et agents publics est étendue aux personnes physiques qui ne sont pas titulaires d’un contrat de travail ou du statut d’agent public.
- Cette extension du régime de la dévolution a un champ d’application plus restreint puisqu’il ne bénéficie qu’aux personnes morales de droit privé ou de droit publique réalisant de la recherche.
- Les prestataires extérieures et les mandataires sociaux conservent leurs droits sur de telles réalisations.
En conclusion, il est conseillé aux entreprises qui développent en interne des logiciels ou des inventions brevetables de porter une attention particulière aux conditions dans lesquelles ces développements sont mis en œuvre, et particulièrement à l’environnement contractuel.
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Claudia Weber, avocat fondateur et Jean-Christophe Ienné, avocat Directeur des Pôles Propriété intellectuelle, Internet et audiovisuel | ITLAW Avocats
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[1] Ordonnance n° 2021-1658 du 15 décembre 2021 relative à la dévolution des droits de propriété intellectuelle sur les actifs obtenus par des auteurs de logiciels ou inventeurs non-salariés ni agents publics accueillis par une personne morale réalisant de la recherche.
[2] Com. 25 avr. 2006, n° 04-19.482 et CA Paris, 29 mai 2013, n° 11/03021
[3] CE 22 févr. 2010, n° 320319.
[4] Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2021-1658 du 15 décembre 2021 relative à la dévolution des droits de propriété intellectuelle sur les actifs obtenus par des auteurs de logiciels ou inventeurs non-salariés ni agents publics accueillis par une personne morale réalisant de la recherche. Accessible sur : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000044501320
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