Que peut-faire un licencié lorsque le logiciel qu’il a acquis dysfonctionne et que l’éditeur ne procède pas à la correction des erreurs ?

 

Dans un récent arrêt rendu le 6 octobre 2021[1], la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) apporte une réponse favorable aux licenciés. Celle-ci autorise le licencié à procéder à la décompilation de manière à lui permettre de procéder à la correction des erreurs affectant le logiciel et de pouvoir l’utiliser conformément à sa destination. La Cour impose toutefois le respect de plusieurs conditions, proches de celles prévues en matière de décompilation pour permettre l’interopérabilité.

 

  1. Les circonstances de l’affaire

En 2008, la société « Top System » conclut avec une entité de l’Etat belge (ci-après le « Bureau ») un contrat de licence pour l’utilisation d’un logiciel développé par Top System. En raison de difficultés de fonctionnement et les parties n’étant pas parvenues à trouver un accord pour leur résolution, le Bureau procède à la décompilation du logiciel, c’est-à-dire la reconstitution de son code source[2], afin de pouvoir corriger les erreurs affectant le code.

Top System poursuit le Bureau en contrefaçon, considérant que la décompilation a été réalisée en violation de ses droits exclusifs sur son logiciel. Pour sa part, le Bureau soutient que la décompilation est licite dès lors que les erreurs empêchent l’utilisation du logiciel conformément à sa destination.

Déboutée en première instance, Top System fait appel et la Cour d’appel de Bruxelles saisit la CJUE de questions préjudicielles destinées à préciser dans quels cas la décompilation d’un logiciel est licite. Elle pose donc les questions suivantes :

  • Un licencié peut-il décompiler un logiciel lorsque cette décompilation est nécessaire pour la correction d’erreurs affectant le fonctionnement du logiciel, y compris quand la correction consiste à désactiver une fonction qui affecte le bon fonctionnement de l’application dont fait partie ce logiciel ?
  • Si tel est le cas, quelles sont les conditions à respecter ?

 

  1. Le droit applicable 

La directive du 14 mai 1991 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur (dite la directive Software)[3] prévoit que les logiciels sont protégés par le droit d’auteur en tant qu’œuvres littéraires.

La directive définit les droits exclusifs de l’auteur d’un logiciel (article 4), notamment le droit de faire ou d’autoriser la reproduction du logiciel, sa traduction, son adaptation, son arrangement et toute autre transformation de celui-ci.

La directive définit également un certain nombre d’exceptions à ces droits exclusifs, ainsi :

  • ces actes ne sont pas soumis à l’autorisation du titulaire lorsqu’ils sont nécessaires pour permettre au licencié d’utiliser le logiciel d’une manière conforme à sa destination, y compris pour corriger des erreurs exception de correction, sauf dispositions contractuelles spécifiques (article 5) ;
  • la reproduction ou la traduction du code du logiciel n’est pas soumise à autorisation lorsqu’elle est indispensables pour obtenir les informations nécessaires à l’interopérabilité[4] du logiciel avec d’autres programmes, sous réserve du respect de certaines conditions (article 6).

En droit français, la transposition de la directive européenne a été effectuée aux articles L122-6 et suivants du Code de la propriété intellectuelle (CPI). Plus précisément, l’article L122-6-1 du CPI reprend la possibilité pour le licencié d’effectuer certains actes sans l’autorisation de l’auteur, lorsqu’ils sont nécessaires pour permettre l’utilisation du logiciel conformément à sa destination.

L’enjeu des questions posées à la CJUE était donc de savoir si la possibilité de décompiler un logiciel est limitée aux cas d’interopérabilité ou si elle s’applique également à la correction des erreurs, le texte de la directive ne prévoyant expressément la décompilation que pour les cas d’interopérabilité.

 

  1. La décision de la CJUE

Tout d’abord, la CJUE constate que si la décompilation n’est pas mentionnée en tant que telle parmi les actes relevant des droits exclusifs de l’auteur listés à l’article 4 de la directive Software, il s’agit toutefois :

  • D’ « une opération de transformation de la forme du code d’un programme impliquant une reproduction, à tout le moins partielle et provisoire, de ce code, ainsi qu’une traduction de la forme de celui-ci ».
  • Elle en conclut que la décompilation est un acte relevant des droits exclusifs de l’auteur du logiciel énoncés à l’article 4 de la directive Software.
La Cour poursuit en considérant que l’exception de correction prévue à l’article 5 de la directive permet au licencié d’effectuer sans autorisation du titulaire de droits les actes relevant des droits exclusifs nécessaire pour effectuer la décompilation. A défaut, le droit de corriger les erreurs d’un logiciel afin de pouvoir l’utiliser conformément à sa destination n’aurait pas d’effet utile. La décompilation n’est donc pas limitée à la seule hypothèse de l’interopérabilité entre logiciels.

Par conséquent, le licencié peut réaliser une décompilation, sans avoir obtenu préalablement l’autorisation du titulaire, dès lors que la décompilation permet :

  • « de corriger des erreurs affectant le fonctionnement du [logiciel], y compris quand la correction consiste à désactiver une fonction qui affecte le bon fonctionnement de l’application dont fait partie ledit [logiciel] ».

 

Reste la question de l’encadrement des actes de décompilation. On sait que la décompilation d’un logiciel aux fins d’interopérabilité est soumise au respect de nombreuses conditions prévues à l’article 6 de la directive. Dans un premier temps, la Cour écarte l’application de ces conditions à la décompilation aux fins de correction d’erreurs, cette décompilation répondant à une logique différente de la décompilation aux fins d’interopérabilité.

Dans un second temps, la Cour pose un certain nombre de conditions qui doivent être respectées par le licencié pour que la décompilation aux fins de correction soit licite, à savoir :
  • La décompilation doit être nécessaire pour permettre au licencié de corriger une erreur qui affecte le logiciel. Par erreur, il faut entendre un défaut qui est à l’origine d’un dysfonctionnement d’un logiciel empêchant de l’utiliser d’une manière conforme à sa destination.
  • La décompilation doit être nécessaire pour permettre au licencié d’utiliser le programme d’une manière conforme à sa destination. Toute modification du logiciel destinée à lui donner une destination autre que celle convenue est donc exclue.
  • La décompilation par le licencié n’est pas possible si celui-ci a légalement ou contractuellement accès au code source du logiciel.
  • La décompilation doit respecter les conditions contractuelles spécifiques convenues avec l’éditeur. A cet égard, la correction des erreurs affectant le fonctionnement d’un logiciel ne peut pas être interdite contractuellement au licencié, mais ses modalités peuvent être encadrées contractuellement. Par exemple, l’éditeur peut se réserver la maintenance corrective du logiciel.
  • Le résultat de la décompilation ne doit pas être utilisé à d’autres fins que celles relatives à la correction des erreurs. Par exemple, le licencié ne peut communiquer à des tiers, une copie du code source obtenu au moyen d’une décompilation, sans l’autorisation du titulaire de droits.

 

Ce qu’il faut retenir :

  • La décompilation relève des droits exclusifs de l’auteur d’un logiciel.
  • Toutefois, un licencié peut procéder à la décompilation d’un logiciel à des fins de correction d’erreurs affectant son fonctionnement et ne permettant pas son utilisation conforme à sa destination ;
  • Certaines conditions doivent être respectées :
    • La décompilation doit être nécessaire pour permettre la correction des erreurs empêchant une utilisation du logiciel conforme à sa destination ;
    • Le licencié ne doit pas avoir déjà accès au code source ;
    • Le code source issu de la décompilation ne peut être utilisé que pour la correction des erreurs.

 

En conclusion, il est conseillé au licencié de porter une attention particulière aux dispositions de son contrat de licence portant sur l’accès aux sources du logiciel et à la correction des erreurs. ITLAW Avocats peut vous assister dans la négociation de vos contrats de licence afin de vous assurer une protection optimale.

 

Claudia Weber, avocat fondateur et Jean-Christophe Ienné, avocat Directeur des Pôles Propriété intellectuelle, Internet et audiovisuel | ITLAW Avocats

 

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[1] Arrêt de la CJUE, 6 octobre 2021, C-13/20, Top System SA contre Etat belge

[2] Définition issue du site Marché-public.fr

[3] Directive 91/250/CEE du Conseil, du 14 mai 1991, concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur – abrogée et codifiée par la Directive 2009/24/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur, qui reprend majoritairement les dispositions de celle de 1991.

[4] Interopérabilité : « Capacité de matériels, de logiciels ou de protocoles différents à fonctionner ensemble et à partager des informations » – Dictionnaire Larousse

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