Les œuvres accessibles sur Internet peuvent servir par défaut de données d’entrainement pour des outils d’IA.

Les titulaires de droit peuvent néanmoins s’y opposer en exprimant clairement leur opposition à l’exercice du droit de Fouille dans les métadonnées associées aux fichiers incorporant l’œuvre ou dans les CGU du site.

Les progrès et les capacités des intelligences artificielles génératives (ci-après « IA ») ont récemment été mis en lumière par la popularité de ChatGPT. Ce type d’IA repose sur la fouille de texte et de données (ou text and data mining, ci-après « Fouille »), qui consiste à analyser, décomposer, et digérer d’importants volume de données afin de créer de nouveaux contenus.

De nombreux titulaires de droits d’auteur ou de droits voisins (droit des artistes interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes, droit des éditeurs de presse et des agences de presse) s’inquiètent de l’utilisation qui peut être faite de leurs œuvres pour nourrir des outils d’IA.

Aux Etats-Unis, certains éditeurs de presse ont mis en place un blocage des robots qu’Open AI fait passer sur leurs sites Web pour aspirer le contenu et entrainer ses modèles d’IA comme ChatGPT. D’autres titulaires de droits ont introduit des procédures à l’encontre d’éditeurs d’IA génératives, les premiers considérant qu’une telle utilisation porte atteinte à leurs droits exclusifs et les seconds qu’elle entre dans l’exception de « fair use ».

Qu’en est-il en France ?

L’exception de droit de Fouille

Le droit d’auteur reconnaît aux auteurs et à leurs ayants droits des droits exclusifs sur leurs créations, comme le droit d’autoriser ou interdire leur reproduction et leur représentation. Ces droits exclusifs sont assortis d’exceptions limitatives comme le droit de Fouille généralisé au niveau de l’Union européenne par la Directive DAMUN[1] .

Selon ce texte, le droit de Fouille se définit comme « toute technique d’analyse automatisée visant à analyser des textes et des données sous une forme numérique afin d’en dégager des informations, ce qui comprend, à titre non exhaustif, des constantes, des tendances et des corrélations ».

Le droit de Fouille comprend deux composantes, qui se différencient par leur régime juridique, soit :

  • Une exception à des fins académiques :

Elle bénéficie aux organismes de recherche et aux institutions du patrimoine culturel qui utilisent la Fouille à des fins de recherche scientifique. Sur ce point, le droit français a précédé le législateur européen.

En effet, dès 2016 la loi pour une république numérique a introduit dans le code de de la propriété intellectuelle une exception aux droits d’auteur et aux droits des producteurs de bases de données, permettant la Fouille à des fins de recherche scientifique.

Cette exception n’est assortie d’aucune limitation.

  • Une exception couvrant toutes les finalités :

Elle bénéficie à toute personne, quelle que soit la finalité de la Fouille, y compris commerciale.

Cette exception instaure une présomption du consentement des auteurs à l’accès à leurs œuvres dans le cadre de la Fouille.

Cette présomption peut être levée si l’auteur déclenche le mécanisme d’opposition ou « opt-out». L’article R 122-28 du code de la propriété intellectuelle précise à cet égard qu’elle n’a pas à être justifiée et qu’elle peut être exprimée par tout moyen.

Dans le cas de contenus mis à la disposition du public en ligne, cette opposition peut notamment être exprimée dans les métadonnées du fichier contenant l’œuvre protégée ou dans les CGV/CGU du site.

Quelle efficacité pour l’exception de droit de Fouille ?

L’exception de Fouille est un droit par défaut pour les développeurs d’IA. C’est là un danger pour les titulaires de droits qui doivent manifester leur volonté de s’opposer à l’application du droit de Fouille à leurs œuvres.

C’est pourquoi de plus en plus de titulaires de droits et d’organisations représentatives, comme des organismes de gestion collective militent pour le remplacement du système d’opt out retenu par la Directive par un système d’opt in plus favorables aux auteurs.

La Commission européenne ne semble pas favorable à une telle modification de la directive et considère que celle-ci réalise un équilibre suffisant entre les titulaires de droits et les développeurs d’IA. Le règlement sur l’IA ne contient aucune disposition à cet égard.

Comment les titulaires de droits peuvent-ils dès lors s’opposer à l’utilisation de leurs œuvres pour nourrir des outils d’IA ?

Tout d’abord, il faut souligner que l’exception de Fouille ne peut porter que sur des œuvres auxquelles il peut être accéder de manière licite, c’est-à-dire dont l’accès a été autorisé par le titulaire de droits.

En conséquence, la Fouille d’un site qui reproduirait sans autorisation un ensemble d’œuvres ne serait pas couverte par l’exception de Fouille et les titulaires de droits pourraient poursuivre le développeur d’IA pour ces actes.

À cet égard, il appartient à la personne qui prétend pouvoir bénéficier d’une exception au droit d’auteur d’établir que les conditions de son application sont réunies.

Le développeur d’IA qui serait poursuivi par un titulaire de droits devrait donc établir qu’il a eu accès licitement aux œuvres objet de la Fouille.

S’agissant des titulaires de droits, il leur est conseillé d’inclure dans leurs contrats de cession de droits une clause par laquelle il s’oppose au droit de fouille, à charge pour le cessionnaire de répercuter cette opposition lors de l’exploitation.

Par ailleurs, il appartient aux titulaires de droits qui veulent s’opposer au droit de fouille de manifester clairement leur opposition au droit de fouille par tout moyen et sans devoir motiver cette opposition. L’opposition peut être exprimée au moyen de procédés lisibles par machine comme des métadonnées ou de manière contractuelle, par exemple pour des œuvres diffusées sur un site Internet par une mention ad hoc des conditions générales d’utilisation.

Que faut-il retenir ?

1/ Coté titulaire de droits:

  • Pour écarter l’application de l’exception de Fouille, le titulaire des droits doit prévoir dès la publication de l’œuvre de s’opposer à la Fouille.
  • L’opposition au jeu de l’exception doit être prévue dès le contrat de cession des droits sur l’œuvre et il doit être fait obligation au cessionnaire des droits de mettre en œuvre cette opposition par tout moyen.
  • L’exploitant doit informer les tiers de l’opposition du titulaire au droit de Fouille en insérant cette information dans les métadonnées du fichier incorporant l’œuvre ou dans les documents contractuels du site comme les CGU

2/ Coté développeur d’IA :

  • Le développeur d’IA doit s’assurer qu’il accède licitement aux œuvres qu’il fouille et s’en ménager la preuve.
  • Il doit mettre en œuvre des dispositifs techniques à même de détecter les oppositions au droit de Fouille et pouvoir en justifier.

Jean-Christophe Ienné avocat directeur des pôles Propriété intellectuelle, Internet & Audiovisuel et Brian Robion, avocat | ITLAW Avocats

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[1] Directive 2019/790 du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique (« DANUM »)

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