Une œuvre de street art anonyme peut-elle être réutilisée par un tiers sans autorisation ? C’est la question posée par l’action en contrefaçon introduite contre le Vatican par une artiste de street art pour avoir reproduit sur un timbre une de ses œuvres.

Le service postal du Vatican a édité pour Pâques 2020 un timbre réalisé à partir d’une peinture murale représentant le Christ, exécutée par une artiste de street art sur le parapet du pont Vittorio Emanuele, proche du château saint Ange. L’artiste, qui ne signe pas ses œuvres par choix, poursuit le Vatican pour contrefaçon.

A priori, la contrefaçon apparait évidente. L’auteur d’une œuvre graphique peut en effet s’opposer à la reproduction et à l’exploitation de son œuvre réalisée sans son autorisation, dès lors qu’aucune exception au droit d’auteur ne peut être invoquée par l’exploitant.

Toutefois, et si l’on s’en tient au droit français, les conditions de réalisation de la peinture murale, propres au street art, sont susceptibles de poser quelques difficultés à l’auteur pour que ses droits soient reconnus. Dans le domaine du street art, les auteurs choisissent souvent de réaliser leurs œuvres de manière anonyme et sur des supports appartenant à autrui (mobiliers urbains, rames de métro, pignons d’immeubles…), deux circonstances qui peuvent constituer un obstacle à une protection effective.

La question de l’anonymat.

Un auteur peut choisir de divulguer ses œuvres de manière anonyme, sans que cela ait une influence sur leur protection, hormis sur la durée de la protection pour laquelle la durée de vie de l’auteur ne peut pas être prise en compte. L’article L 113-6 du code de la propriété intellectuelle prévoit que l’auteur anonyme est représenté par l’éditeur ou le publicateur originaire, tant que l’auteur n’a pas fait connaitre son identité et justifié de sa qualité.

S’agissant de l’auteur anonyme qui divulgue lui-même son œuvre, il est titulaire des droits d’auteur dans les mêmes conditions que l’auteur qui divulgue sous son nom. En pratique il pourra toutefois rencontrer des difficultés pour se voir reconnaitre la qualité d’auteur, faute de représentant. Il lui appartient en effet d’établir la preuve qu’il est bien l’auteur de l’œuvre qu’il revendique. Tout est donc une question de preuve.

L’artiste Banksy a été récemment confronté à une telle difficulté en matière de marques, à l’occasion du dépôt par la société en charge de la gestion de ses intérêts d’une marque de l’Union européenne figurative constituée de l’œuvre « Love is in the air (Flower Thrower) ». Dans sa décision d’annulation de la marque du 14 septembre 2020, l’Office de l’Union européenne a relevé que l’anonymat de Bansky ne permettait pas de l’identifier comme titulaire incontestable des droits sur l’œuvre utilisée pour le dépôt.

L’influence du choix du support de l’œuvre sur les droits.

Le fait de réaliser une peinture, au pochoir ou autrement, sur un mur appartenant à autrui peut être constitutif d’un délit de dégradation ou de détérioration de la propriété d’autrui. La question se pose alors de savoir si les circonstances illicites de la création de l’œuvre peuvent rejaillir sur l’œuvre elle-même en interdisant l’accès à la protection de l’œuvre par le droit d’auteur ou l’exercice de ce droit par l’auteur. A cet égard, la Cour de cassation a déjà précisé qu’une œuvre illicite pourrait ne pas bénéficier de la protection du droit d’auteur, sans toutefois faire application de manière positive de ce principe.

L’artiste de street art est donc confronté à un dilemme. S’il souhaite préserver ses droits, il devra prendre quelques précautions au moment où il réalise sa création, notamment pour établir sa qualité d’auteur, au prix d’une perte de sa liberté. S’il privilégie sa liberté et son anonymat, il risque de perdre ses droits.

Jean-Christophe Ienné, avocat directeur des pôles Propriété Intellectuelle, Internet et Audiovisuel | ITLAWAvocats

 

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