Non-respect d’une licence : contrefaçon ou manquement contractuel ?
7 février 2023.
Depuis plusieurs années, les éditeurs font face à une incertitude juridique lorsqu’un licencié ne respecte pas les conditions d’utilisation de son contrat de licence. La raison ? En application du principe de non-cumul des responsabilités, seule la responsabilité contractuelle était en général envisageable.
Alors, face à ce principe, que doivent faire les éditeurs ? Agir en contrefaçon à l’encontre du licencié ou engager leur responsabilité contractuelle ? Nous avons déjà eu l’occasion de traiter du sujet dans notre précédent article.
Le 5 octobre 2022, la Cour de cassation a clôturé la saga « Entr’Ouvert c/ Orange » en donnant une position inédite.
Que s’est-il passé ?
- La société Entr’Ouvert a développé un logiciel sous licence libre et payante, “Lasso”, permettant aux utilisateurs de s’authentifier une seule fois pour accéder à différents services et sites en ligne.
- La société Orange a inclus ce logiciel dans une solution informatique dans le cadre d’un appel d’offres.
- Entr’Ouvert a poursuivi Orange pour contrefaçon, estimant que l’intégration de Lasso violait les conditions de la licence libre du logiciel.
- Le 21 juin 2019, les juges de première instance ont déclaré la société Entr’Ouvert irrecevable à agir en contrefaçon, considérant que les faits résultaient d’une inexécution des obligations contractuelles de la licence.
- Le 19 mars 2021, la Cour d’appel de Paris confirme cette position, considérant que l’atteinte aux droits de l’éditeur était d’ordre purement contractuel.
Quelle est la solution inédite retenue par la Cour de cassation ?
En se référant au précédent arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne en la matière[1], la Cour de Cassation rappelle :
- qu’un titulaire de droits doit pouvoir bénéficier de dommages et intérêts en cas d’atteinte à ses droits, conformément à la Directive 2004/48 du 29 avril 2004 et,
- qu’en cas d’inexécution contractuelle, la partie défaillante n’est tenue d’indemniser son cocontractant qu’à hauteur de ce qui est prévisible ou contractuellement prévu entre eux.
Or, lorsqu’un contrat est conclu entre deux parties, la partie lésée ne peut agir que sur le terrain de la responsabilité contractuelle en vertu de la règle dite de « non-cumul ».
Au regard de ces dispositions, la Cour de cassation estime que le principe de non-cumul des responsabilités ne doit pas priver le titulaire d’un droit des garanties issues de la directive 2004/48 en matière de contrefaçon.
Ainsi, la Cour de cassation soutient que l’éditeur d’un logiciel est bien recevable à agir en contrefaçon en cas de violation des conditions d’utilisation du logiciel par son licencié.
En quoi cette solution est-elle inédite ?
En droit français, le principe de « non-cumul » des responsabilités contractuelle et délictuelle impose à la partie lésée d’engager la responsabilité contractuelle de la partie défaillante, sans possibilité d’agir en responsabilité délictuelle.
À ce sujet, la jurisprudence s’est montrée particulièrement divergente :
- d’un côté, la Cour d’appel de Paris[2] penchait en faveur de la responsabilité contractuelle. Cette décision a été vivement critiquée pour sa contradiction avec l’arrêt de la CJUE précédemment cité, qui indiquait que la violation d’une clause de contrat de licence de logiciel, notamment en matière de droits de propriété intellectuelle, devait être considérée comme une atteinte au sens de la directive 2004/48. Cela signifie qu’un ayant-droit devrait bénéficier de cette protection, et ce, “indépendamment du régime de responsabilité applicable selon le droit national”.
- le tribunal judiciaire de Paris[3] reconnaissait la possibilité d’agir en contrefaçon à l’encontre d’un licencié ayant dépassé les limites de la licence.
Que faut-il retenir ?
- Un éditeur peut désormais agir en contrefaçon sur le terrain délictuel, même si le manquement est d’ordre contractuel.
Claudia Weber, avocat fondateur et Philippe Zanon, stagiaire élève avocat | ITLAW Avocats
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Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 5 octobre 2022, n° 21-15.386, Publié
[1] CJUE, 18 déc. 2019, aff. C-666/18, IT Development SAS c/ Free Mobile SAS
[2] CA Paris, 19 mars 2021, n° 19/17493 : JCP E 2021, 1407
[3] TJ Paris, 6 juillet 2021, n°18/01602
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