Par une décision du TGI de Paris du 28 novembre 2013, les marques comportant le terme Argus ont été annulées pour défaut de distinctivité.

 

Le litige ayant donné lieu à cette décision oppose :

  • la société Muse Media, éditrice du site internet www.la-cote-argus.fr qui propose un service de cotations de véhicules d’occasion et est titulaire des noms de domaine <lacote-argus.com> et <la-cote-argus.net> enregistrés le 2 février 2011 ;
  • la société Sneep, éditrice de l’hebdomadaire L’argus depuis 1927 qui publie la Cote argus et propose ses services sur internet via les sites www.largus.fr, www.argusauto.com et www.argusautopro.com. Elle est en outre titulaire de marques françaises composées du terme Argus notamment « Argus Auto », « Cote Argus », « L’Argus », « Valeur Argus » déposées en 2007.

 

Tout a commencé lorsque cette dernière société a :

  • déposé plainte auprès du Centre d’Arbitrage et de Médiation[1] de l’OMPI (Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle) afin d’obtenir le transfert à son profit des noms de domaine < lacote-argus.com > et < la-cote-argus.net >, ce qui lui a été accordé ;
  • assigné la société Muse en contrefaçon de marque et concurrence déloyale devant le Tribunal de Grande Instance de Toulouse.

 

La société Muse a alors à son tour saisi le TGI de Paris en demandant la nullité des marques précitées.

 

Rappel de la notion de distinctivité en matière de marques :

Pour être valable, une marque doit être « distinctive », c’est-à-dire qu’elle doit être apte à identifier les produits ou services qu’elle vise, de ceux des concurrents[2] et être suffisamment arbitraire par rapport à ces produits ou services.

Le caractère distinctif d’une marque s’apprécie au jour du dépôt de la demande d’enregistrement auprès de l’Institut National de la Propriété Industrielle, mais également ultérieurement puisqu’elle est susceptible d’être annulée au cours d’une action en justice. En outre, une marque qui deviendrait générique par son usage encourt la déchéance[3].

Par exception, une marque peut acquérir un caractère distinctif par l’usage[4] si le signe en cause est devenu apte à identifier les produits et/ou services comme provenant d’une entreprise spécifique et en fonction notamment de l’intensité de l’usage du signe, la durée et l’étendue d’un tel usage, les parts de marché…

 

Arguments des parties :

  • L’argument principal de la société Muse résidait en la contestation de la validité des marques précitées contenant le terme « Argus » du fait :
    • du caractère frauduleux de leur dépôt intervenu postérieurement à des décisions de justice ayant retenu le caractère descriptif et générique du terme « Argus »[5] ;
    • de leur absence de caractère distinctif dans la mesure où elle considérait que lesdites marques étaient « descriptives et les désignations nécessaires et usuelles de produits et services couverts ».
  • La société Sneep, quant à elle, faisait valoir :
    • que les dépôts des marques en cause avaient été effectués avec l’adjonction d’un autre terme aux fins de se conformer aux décisions de justice précitées et sans aucune intention de nuire ;
    • un usage prolongé et notoire du terme « Argus » et le fait que les marques en cause ont acquis un caractère distinctif par l’usage dans le secteur de l’automobile, notamment en raison de la part de marché important détenue, de l’importance des investissements réalisés pour la promotion desdites marques et de la durée de cet usage (remontant à 1927).

 

Le rejet de l’argumentaire de la société Sneep par le Tribunal :

Les juges ont tout d’abord débouté la société Muse de sa demande de nullité des marques pour fraude en retenant que l’intention de nuire de la société Sneep n’était pas démontrée, notamment dans la mesure où les dépôts litigieux n’avaient pas été effectués au préjudice de droits antérieurs détenus par la société Muse dont les noms de domaine en cause n’ont été réservés que postérieurement aux dépôts litigieux.

En revanche, le tribunal a prononcé la nullité des quatre marques françaises en cause pour défaut de distinctivité, donnant ainsi raison à la société Muse sur ce point et refusant d’admettre au bénéfice de la société Sneep l’acquisition du caractère distinctif de ces marques par leur usage. En effet, la société Sneep a échoué à rapporter la preuve de l’usage du terme « Argus » à titre de marque pour les produits et services visés par l’enregistrement concerné qui aurait permis au public concerné d’identifier lesdits produits et services comme provenant de la société Sneep et de les distinguer d’une entreprise concurrente.

En outre, les juges ont considéré que le terme « Argus » appartenait au langage courant au moment du dépôt des marques litigieuses et figurait en tant que nom commun dans le dictionnaire dès 1965. Les marques en cause étaient donc descriptives des services visés et inaptes à remplir la fonction d’identification que doit revêtir une marque.

En conséquence, la demande de transfert des noms de domaine au profit de la société Sneep est devenue sans objet.

L’affaire n’étant qu’au stade de la première instance, nous ne manquerons pas de vous tenir informés des suites de cette décision en cas d’appel formé par la société Sneep…

 

En conclusion, quelques conseils en présence d’une marque faiblement distinctive :

  • Gardez à l’esprit que la preuve de l’acquisition du caractère distinctif par l’usage peut s’avérer difficile à apporter ;
  • Faite attention à la manière dont vous communiquez sur vos marques afin que celles-ci puissent être considérées comme un vecteur d’identification pour votre clientèle ;
  • En particulier soyez actifs dans la défense de l’utilisation des termes composant votre marque afin que ceux-ci n’entrent pas dans le langage courant et ne deviennent pas génériques !
  • Pensez à conserver méthodiquement des preuves datées de communication et d’exploitation de vos marques et de votre visibilité sur le marché.

 

Claudia Weber, Avocat Associée et Viola Morel, Avocat

ITLAW Avocats

www.itlaw.fr



[1] Institution internationale permettant le règlement extrajudiciaire des litiges en matière de propriété intellectuelle et relatifs aux noms de domaine.

[2] Article L 711-1 du Code de la propriété intellectuelle : « La marque de fabrique, de commerce ou de service est un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale. […] »

[3] Article L 714-6 du Code de la propriété intellectuelle

[4] Article L 711-2 alinéa 3 du Code de la propriété intellectuelle

[5] CA Paris 24 mars 1986 et C. Cass 23 janvier 2007

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