confiant à l’INPI le traitement des actions en nullité et en déchéance à titre principal, sur le modèle des procédures existantes devant l’EUIPO pour la marque de l’Union européenne, cela dès le 1er avril 2020. L’objectif affiché est de faciliter la contestation des titres susceptibles d’encombrer les registres et de rapprocher le régime des actions ouvertes aux titulaires de droits en France et en Europe. Voici leurs principales caractéristiques.

CONTOUR DE LA COMPETENCE EXCLUSIVE DE L’INPI

Le gouvernement a fait le choix de donner à l’INPI une compétence exclusive pour connaître des actions suivantes, formées à titre principal, à l’encontre d’une marque française ou d’une marque internationale désignant la France :

  • Les actions en déchéance quel qu’en soit le motif : défaut d’usage, marque devenue trompeuse, dégénérescence ; etc.
  • Les actions en nullité pour motif absolu: défaut de caractère distinctif, signe descriptif, signe contraire à l’ordre public ou dont l’usage est légalement interdit, dépôt de mauvaise foi ; atteinte à appellation d’origine ; atteinte à indication géographique ; etc.
  • Certaines actions en nullité pour motif relatif: pour atteinte à un droit antérieur (les mêmes que pour l’opposition : marque antérieure produisant ses effets en France, marque notoire ou de renommée, dénomination sociale, nom commercial, enseigne, nom de domaine, nom d’une collectivité territoriale, d’une entité publique, etc.).
  • Les actions en nullité et en déchéance concernant les marques de garantie et collectives prévues aux articles L 715-4 et suivant du Code de Propriété intellectuelle.

En revanche, les tribunaux judiciaires limitativement énumérés par le Code de l’organisation judiciaire restent exclusivement compétent pour les actions en nullité pour motif relatif fondées sur des droits d’auteurs, des droits de dessin ou modèle ou d’un droit de la personnalité.

Les tribunaux judiciaires restent également compétents, notamment pour les actions en nullité ou en déchéance introduite à titre reconventionnel, pour celles associées à une autre action relevant de la compétence judiciaire (action en contrefaçon, en concurrence déloyale, en responsabilité contractuelle …) ou lorsque des mesures probatoires, provisoires ou conservatoires ont été ordonnées.

Le nouveau dispositif prévoit une articulation des procédures administrative et judiciaire

LA DEMANDE

Qui peut initier une demande en déchéance ou en nullité ?

Pour les demandes en déchéance ou en nullité fondées sur des motifs absolus : toute personne sans avoir à justifier d’un intérêt à agir.

Pour les demandes en nullité fondées sur des motifs relatifs : seuls les titulaires de droits invoqués à l’appui de la demande ou les personnes autorisées.

De manière habituelle, une telle demande peut être déposée directement ou par l’intermédiaire d’un CPI, avocat, mandataire, une société contractuellement liée, etc.

Quand la demande peut-elle être introduite ?

La demande peut être introduite à n’importe quel moment de la vie de la marque contestée, l’action n’étant pas soumise à prescription.

Il n’est toutefois pas possible pour le titulaire d’un droit antérieur de demander la nullité d’une marque postérieure s’il a toléré l’usage qui en a été fait de bonne foi pendant cinq années consécutives.

Que doit comporter la demande ?

La demande peut être fondée :

  • sur un ou plusieurs motifs, sans toutefois pouvoir porter à la fois sur un motif de nullité et sur un motif de déchéance ;
  • et/ou sur plusieurs droits antérieurs qui doivent nécessairement appartenir au même titulaire.

La demande peut porter sur une partie ou sur la totalité des produits et services de la marque contestée.

La demande doit comporter un certain nombre d’informations relatives aux parties, au droit contesté, aux motifs et moyens invoqués, à son étendue, au paiement de la redevance. En pratique, la majorité de ces informations seront reprises dans le formulaire en ligne. Il est à noter que l’exposé des motifs de l’action en nullité devra être déposé en même temps que la demande, contrairement à l’action en déchéance pour défaut d’exploitation, pour laquelle le dépôt d’un exposé des motifs n’est pas obligatoire.

Une fois l’action introduite, le demandeur ne pourra cependant que limiter l’étendue de sa demande en renonçant à certains motifs invoqués ou en limitant sa portée à certains produits et services visés. Elle ne pourra pas être étendue à d’autres motifs ou d’autres produits et services que ceux invoqués dans la demande initiale.

Quel est le coût de la procédure ?

L’introduction de la demande est subordonnée au paiement à l’INPI d’une redevance forfaitaire de 600 € dans les cas suivants :

– Une demande de déchéance fondée sur un ou plusieurs motifs

– Une demande en nullité fondée sur un ou plusieurs motifs absolus et/ou un seul droit antérieur.

Dans le cas d’une action en nullité fondée sur plusieurs droits antérieurs, une taxe supplémentaire de 150 € doit être acquittée par droit supplémentaire invoqué en plus du premier.

LE DEROULÉ DE LA PROCEDURE

Les procédures en nullité et en déchéance sont organisées de la même manière que la procédure en opposition. Elles sont ainsi composées en trois phases : une phase d’examen de la recevabilité de la demande, une phase d’instruction et une phase à l’issue de laquelle l’Office rendra sa décision.

La procédure est écrite et contradictoire. Elle ne peut se faire que via le portail dédié mis en place par l’INPI.

L’INPI a récemment publié la présente chronologie faisant état des différentes étapes de la procédure :

 

Examen de la recevabilité

L’examen de la recevabilité de la demande a lieu dès la réception de la demande et en parallèle à la phase de recherche du titulaire de la marque contestée.

La demande est considérée comme une demande unique : si elle est fondée sur plusieurs motifs, elle sera admise dès lors qu’un seul des motifs revendiqués est recevable.

Dans le cas contraire, si la demande encourt l’irrecevabilité dans sa totalité, les services de l’INPI peuvent inviter le demandeur à compléter les pièces manquantes ou présenter des observations. Il faut également noter que dans le cadre de ce premier examen, l’institut se borne à vérifier que les pièces fournies ne sont pas « manifestement dénuées de pertinence », l’Office pouvant statuer sur la recevabilité de l’action au stade de la décision.

Parmi les causes d’irrecevabilité applicables figure l’autorité de la chose jugée. L’article R716-13 du CPI prévoit ainsi que la « demande en nullité ou déchéance d’une marque est irrecevable lorsqu’une décision relative à une demande ayant le même objet et la même cause a été rendue entre les mêmes parties ayant la même qualité par l’Institut national de la propriété industrielle ou par une juridiction et que cette décision n’est plus susceptible de recours. »

Instruction

La phase d’instruction est potentiellement composée de trois échanges écrits entre les parties et d’une audition :

1er échange : Une fois l’action considérée comme recevable, elle est notifiée au titulaire de la marque, qui aura un délai de deux mois pour présenter des observations en réponse ou, dans le cadre d’une action en déchéance, présenter des preuves d’usage.

2ème échange : Ces observations en réponse sont communiquées au demandeur qui pourra les contester dans un délai d’un mois. Si le requérant présente des observations, le titulaire de la marque contestée dispose alors d’un nouveau délai d’un mois pour répondre aux arguments du requérant et présenter de nouvelles preuves d’usage.

3ème échange : En cas de réponse du titulaire de la marque contestée, une troisième phase d’échanges s’ouvre par un délai d’un mois pour le requérant pour répondre aux arguments présentés, suivi d’un dernier délai d’un mois pour le titulaire de la marque contestée pour présenter des dernières observations qui ne peuvent comporter aucun nouveau moyen.

Il appartient à l’INPI d’observer et de faire observer le principe du contradictoire tout au long de la procédure.

A la manière de la procédure en opposition, une commission orale peut être organisée, à la demande des parties ou à l’initiative de l’INPI, à la fin de la phase d’instruction.

Décision du directeur de l’INPI

La phase de décision à l’issue de laquelle l’INPI devra rendre sa décision, durera trois mois. Elle commencera dès qu’une partie ne présente pas des observations dans un des délais qui lui est imparti (sauf action en déchéance pour non-usage) et au plus tard le lendemain de la commission orale, le cas échéant.

Les cas de suspension sont les mêmes que ceux existants dans le cadre de l’opposition. Les parties ont la possibilité de demander trois fois des suspensions conjointes de la procédure d’une durée de 4 mois. L’INPI peut également suspendre de lui-même la procédure. Enfin, la procédure sera également suspendue si le droit antérieur n’est pas enregistré ou sa validité est contestée.

Ces procédures sont donc rapides, leur durée totale n’excèdera pas 10 mois à compter de la date de dépôt de l’action (en absence de suspension).

LES MOYENS DE DEFENSE SPECIFIQUE A L’ACTION EN NULLITE

L’ordonnance de transposition a créé des moyens de défense spécifiques à l’action en nullité qui méritent d’être évoqués.

Lorsque l’action en nullité est fondée sur une marque antérieure, sous peine d’irrecevabilité de la demande, le titulaire de la marque contestée peut demander :

  • des preuves d’usage de la marque antérieure (double période : 5 ans précédant la date de la demande et 5 ans à la date de dépôt ou de priorité de la marque postérieure si la marque antérieure invoquée à plus de 5 années)
  • des preuves de l’acquisition du caractère distinctif par l’usage (à la date de dépôt ou de la priorité de la marque postérieure)
  • des preuves d’un caractère suffisamment distinctif susceptible de justifier l’existence d’un risque de confusion (à la date de dépôt ou de priorité de la marque postérieure)
  • des preuves de la renommée de la marque antérieure (à la date de dépôt ou de priorité de la marque postérieure), si celle-ci est revendiquée.

Lorsqu’un motif absolu est invoqué, le titulaire de la marque contestée pourra apporter la preuve de l’acquisition du caractère distinctif de sa marque avant la date de la demande en nullité.

Les actions en nullité ne sont soumises à aucune prescription, à l’exception des demandes en nullité fondées sur une marque notoirement connue (article 6bis de la Convention de Paris), qui seront prescrites dans un délai de 5 ans à compter de l’enregistrement de la demande contestée, sauf mauvaise foi du déposant.

Toutefois, le mécanisme de la forclusion par tolérance trouve application : le titulaire d’un droit antérieur ayant toléré l’usage d’une marque postérieure enregistrée pendant une période de cinq ans, en connaissance de cause, sera forclos à agir, sauf mauvaise foi du déposant.

EFFET DE LA DECISION ET RECOURS

Les décisions rendues par le directeur de l’INPI dans le cadre de ces procédures constituent un titre exécutoire. Elles pourront comporter, sur demande de la partie gagnante, la prise en charge des frais de procédure par la partie perdante. Le barème des frais sera fixé par un arrêté, qui n’a toujours pas été publié à ce jour.

Ces décisions pourront faire l’objet d’un recours en réformation, avec effet suspensif, devant la Cour d’appel du lieu de résidence du défendeur, parmi les 10 Cours d’Appel compétentes en matière de marques. La constitution d’un avocat est alors obligatoire.

Dans le cadre de ces recours, les parties pourront invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves en appel, ce qui parait essentiel particulièrement dans le cadre d’une procédure en déchéance.

Ces nouvelles procédures, présentées comme plus simples, plus rapides et moins couteuses que les procédures devant le tribunal judiciaire, sont susceptibles de modifier les stratégies de marques des titulaires de portefeuilles. De son côté, l’INPI a mis en place depuis le 1er février 2020 une cellule dédiée de 6 juristes et d’un responsable, qui pourrait à terme être portée à 20 juristes si les prévisions de 1.000 demandes par an étaient atteintes.

Il reste que la répartition des compétences en matière de nullité et de déchéance entre l’INPI et les tribunaux judiciaires est complexe et pourrait réduire l’efficacité affichée de la nouvelle procédure. De même, la nature hybride, mi administrative, mi juridictionnelle de la procédure mise en place peut apparaitre critiquable en terme de garantie procédurale et constituer un handicap pour son développement.

Gabriel Esteves, Juriste – Pôle Propriété intellectuelle | ITLAWAvocats

Le Cabinet ITLAW Avocats, fort de son expertise depuis plus de 25 ans en matière de propriété intellectuelle, accompagne ses clients dans les actions de prévention et de défense en matière de droits de propriété intellectuelle et industrielle

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