Dans une décision du 25 octobre 2012*, la CJUE a précisé dans quelles conditions la preuve de l’usage d’une marque sous une forme modifiée par rapport à celle sous laquelle elle a été enregistrée pouvait être admise.

A l’origine de cette décision : un litige portant sur la preuve de l’usage d’une marque, condition exigée pour le maintien des droits du titulaire, sous peine de déchéance de la marque.

En effet, en cas de contestation de ses droits, le titulaire d’une marque enregistrée doit être en mesure de prouver l’usage sérieux de sa marque, c’est‐à‐dire son exploitation dans les classes de produits et services visées par son dépôt. Néanmoins, au cours de son exploitation dans le temps, il n’est pas rare que le titulaire fasse évoluer sa marque et procède à un nouvel enregistrement. Afin de pouvoir bénéficier de l’antériorité des droits sur son dépôt initial, il lui
revient alors d’apporter la preuve que l’usage de cette seconde marque sous une forme modifiée de la première, n’altère pas le caractère distinctif de cette marque première.

La question posée par la Cour fédérale de justice allemande à la CJUE portait justement sur l’interprétation de cette disposition de la Directive européenne sur les marques du 2 Octobre 2008, selon laquelle peut être considéré comme un usage de la marque l’usage de celle‐ci « sous une forme qui diffère par des éléments n’altérant pas son caractère distinctif dans la forme sous laquelle celle‐ci a été enregistrée »**.

 

C’est l’occasion pour la Cour de préciser que :

  • « Le titulaire d’une marque enregistrée peut, aux fins d’établir l’usage de celle‐ci, se prévaloir de son utilisation dans une forme qui diffère de celle sous laquelle cette marque a été enregistrée sans que les différences entre ces deux formes altèrent le caractère distinctif de cette marque, et ce nonobstant le fait que cette forme différente est elle‐même enregistrée en tant que marque.» ;

La Cour prend ainsi en compte les « exigences de commercialisation et de promotion des produits ou des services concernés » auxquelles le titulaire d’une marque enregistrée doit pouvoir, par des « variations », adapter sa marque « sans en modifier le caractère distinctif ».

  • « L’article 10, paragraphe 2, sous a) s’oppose à une interprétation nationale qui écarterait l’application de cette disposition [aux marques défensives dont l’enregistrement n’a d’autre fin que de garantir ou d’élargir le champ de la protection d’une autre marque enregistrée, qui l’est dans la forme sous laquelle elle est utilisée]. »

Ainsi la preuve de l’usage d’une marque enregistrée peut être apportée par son exploitation sous une forme modifiée également enregistrée à titre de marque. Cette possibilité semble aussi s’appliquer aux marques déposées à des fins défensives dans le but d’élargir la protection d’une autre marque enregistrée.

 

Cette nouvelle position de la Cour va notamment à l’encontre d’un arrêt antérieur de la CJCE*** par lequel les juges énonçaient que « la protection dont bénéficie une marque enregistrée [ne peut être étendue] à une autre marque enregistrée dont l’usage n’a pas été démontré, au motif que cette dernière ne serait qu’une légère variante de la première ».

Cela signifiait qu’en présence de deux marques quasiment identiques, le dépôt, à titre de seconde marque, de la nouvelle version de la première marque empêchait que son usage bénéficie à la marque première et était donc susceptible d’entraîner la déchéance de celle‐ci.

La Cour a toutefois justifié la position adoptée dans cette décision précédente par les circonstances spécifiques de l’affaire liées l’invocation d’une « famille » de marques (notion reconnue dans certains droits étrangers), qui impliquait la démonstration de l’usage indépendant d’un nombre suffisant de marques susceptibles d’y appartenir.

Le présent arrêt de la CJUE remet également en cause la jurisprudence récente**** de la Cour de cassation qui avait notamment décidé que « l’exploitation d’une marque enregistrée, analogue à une autre marque enregistrée, ne vaut pas exploitation de cette dernière ».

Avec cette nouvelle décision, il semble donc désormais que, malgré le dépôt d’une marque modifiée, l’enregistrement de la forme initiale de cette marque ne pourra pas être remis en cause quand bien même son titulaire ne parviendrait pas à prouver l’usage de cette première marque.

Le titulaire pourra donc bénéficier de l’antériorité de son premier dépôt par la démonstration de l’usage d’une seconde marque très proche, le critère déterminant étant l’altération ou non du caractère distinctif de sa marque première.

 

En conclusion, nous vous recommandons de :

‐ ne pas hésiter à réagir face à l’usage par un concurrent d’une marque identique ou similaire à votre dépôt initial même si celui‐ci a évolué ; tout en restant prudents, notamment en raison de l’appréciation par les juges de la notion, essentiellement factuelle, « d’altération du caractère distinctif » ;

‐ tenir compte du fait qu’il vous sera désormais probablement plus difficile d’obtenir la déchéance des marques « défensives » déposées par vos concurrents ;

‐ penser à déposer les nouvelles versions de vos marques et logos phares.

 

Nous ne manquerons pas de vous tenir informés des probables revirements de jurisprudence en France liés à cette décision !

 

* CJUE, 25 Oct 2012, Rintisch vs Eder

** Article 10 paragraphe 2 a) Directive 2008/95/CE

*** CJCE, 13 sept 2007, Bainbridge

**** Cass. Com. 12 juin 2012, DURANTOU SARL

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