C’est avec quelques jours de retard que la France a transposé la directive du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées (secret des affaires). Le texte de transposition ajoute un titre V au livre 1er du code de commerce, consacré à la protection du secret des affaires.

 

Le 21 juin dernier, à la suite de l’Assemblée nationale, le Sénat a définitivement adopté le texte élaboré par la commission mixte paritaire de la proposition de loi relative à la protection du secret des affaires, dans le cadre de la procédure accélérée.

Ce texte est issu de la directive européenne du 8 juin 2016 sur la protection du savoir-faire et des informations commerciales non divulguées, qui devait être transposée en droit français avant le 9 juin.

Les deux précédentes tentatives d’instaurer une protection du secret des affaires (proposition de loi Carayon en 2012 et loi Macron en 2015) avaient été des échecs. L’adoption de la directive du 8 juin 2016 avaient été elle aussi accompagnée d’intenses débats, le secret des affaires étant perçu comme pouvant entrer en conflit avec le droit d’informer et avec la protection des lanceurs d’alerte.

Présentation générale de la loi

Le texte définit les informations protégées, le contour et les limites de la protection accordée et donne des précisions sur la mise en œuvre procédurale des droits et la réparation des préjudices.

Définition du secret des affaires protégé

Le nouvel article L. 151-1 (du code de commerce) définit l’objet de la protection du secret des affaires comme étant toute information réunissant les 3 critères suivants :

  • Elle n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ;
  • Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ;
  • Elle fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables pour en conserver le caractère secret.

Le bénéficiaire de la protection est le détenteur légitime, c’est-à-dire la personne qui en a le contrôle de façon licite, soit au terme d’une découverte ou d’une création indépendante, soit par l’observation, l’étude, le démontage ou le test d’un produit ou d’un objet qui a été mis à la disposition du public ou qui est de façon licite en possession de la personne qui obtient l’information, sauf stipulation contractuelle interdisant ou limitant l’obtention du secret.

Champ de la protection

Les articles L. 151-4 à L.151-6 définissent le champ de la protection du secret des affaires. Les informations secrètes sont protégées contre les actes suivants :

  • L’obtention sans le consentement de son détenteur légitime et qui résulte soit d’un accès non autorisé à tout document, objet, matériau, substance ou fichier numérique qui contient le secret ou dont il peut être déduit, ou bien d’une appropriation ou d’une copie non autorisée de ces éléments, soit de tout autre comportement considéré comme déloyal et contraire aux usages en matière commerciale ;
  • L’utilisation ou la divulgation réalisée sans le consentement de son détenteur légitime par une personne qui a obtenu le secret dans des conditions illicites ou qui agit en violation d’une obligation de ne pas divulguer le secret ou de limiter son utilisation ;
  • L’obtention, l’utilisation ou la divulgation par une personne qui savait, ou ne pouvait ignorer au regard des circonstances, que le secret des affaires avait été obtenu directement ou indirectement d’une autre personne qui l’utilisait ou le divulguait de façon illicite.

Limites de la protection

Les articles L.151-7 à L.151-9 reprennent les exceptions au secret des affaires prévues par la directive. Ne porte pas atteinte au secret des affaires l’obtention, l’utilisation, ou la divulgation d’informations secrètes, dès lors qu’elles sont faites :

  • Pour exercer le droit à la liberté d’expression et de communication, y compris le respect de la liberté de la presse et à la liberté d’information ;
  • Pour révéler de bonne foi une faute, un acte répréhensible ou une activité illégale dans le but de protéger l’intérêt public général, notamment dans le cadre du droit d’alerte ;
  • Pour la protection d’un intérêt légitime reconnu par le droit de l’Union européenne ou le droit national ;
  • Dans le cadre de l’exercice du droit à l’information et la consultation des salariés ;
  • Dans le cadre de l’exercice des pouvoirs d’enquête, de contrôle, d’autorisation ou de sanction des autorités juridictionnelles ou administratives.

Particularités procédurales

Le texte prévoit que toute atteinte au secret des affaires engage la responsabilité civile de son auteur. Comme la directive, le texte voté ne reprend pas le délit d’espionnage économique voulu par le Sénat. Il ressort des débats que cette question sera abordée ultérieurement dans le cadre de mesures juridiques de protection des entreprises françaises confrontées à des procédures judiciaires ou administratives de portée extraterritoriale.

La prescription est de 5 ans à compter des faits illicites.

Les juridictions saisies pourront prescrire, y compris sous astreinte, toute mesure proportionnée de nature à empêcher ou à faire cesser une atteinte au secret des affaires et ordonner que les produits résultant de l’atteinte au secret soient rappelés, modifiés, détruits, voire confisqués au profit de la partie lésée.

Les modalités d’accès aux informations secrètes d’une partie, avant tout procès au fond (article 145 du code de procédure civile) ou dans le cadre de mesures d’instruction, sont encadrée afin d’éviter que la partie demanderesse détourne la procédure pour accéder directement à ces informations. Il est ainsi prévu que le juge saisi pourra prendre connaissance seul de ces informations ou en limiter la communication.

Les conditions d’obtentions de mesures provisoires en référé ou sur requête seront définies par un décret à venir.

Le texte contient enfin une disposition destinée à éviter le détournement du recours à la protection du secret des affaires, par exemple dans l’hypothèse où une entreprise poursuivrait un concurrent sur la base de ce texte dans le seul but d’entraver son activité économique. Le texte prévoit la possibilité de condamnation du demandeur à une amende civile plafonnée à 20% de sa demande de dommages et intérêts ou à 60 000€.

Réparation de la violation du secret des affaires

Pour fixer les dommages et intérêts, le juge prendra en compte le préjudice économique, le préjudice moral et les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte.

Sur ce dernier point, la réparation déroge aux principes généraux de la responsabilité qui limite la réparation aux seuls préjudices effectivement subis.

Rejet du recours devant le Conseil Constitutionnel

Le texte voté a fait l’objet de deux recours de constitutionnalité devant le conseil constitutionnel et du dépôt d’observations par un collectif d’associations, de syndicats et de sociétés de journalistes.

Le Conseil constitutionnel a rejeté le recours et validé la loi par une décision rendue le 26 juillet 2018.

Le principal motif de ces recours concernait les atteintes que ce texte aurait porté à la liberté d’informer, la profession de journaliste craignant que le texte légitime la pratique des procédures « baillons » et rende plus difficile le journalisme d’investigation.

Étaient également évoqués, notamment, l’imprécision de la définition des informations secrètes protégées, une atteinte aux droits des salariés ou encore une atteinte au droit à un procès équitable.

(Lire le texte de Loi)

(Lire Décision du Conseil Constitutionnel n° 2018-768 DC du 26 juillet 2018)

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