Teradata annonce qu’elle poursuit SAP pour contrefaçon et violation du droit la concurrence en lien avec sa solution HANA.

La société américaine Teradata, spécialiste des solutions cloud d’analyse et de gestion de données, a annoncé mercredi 20 juin 2018 avoir introduit une action contre SAP auprès d’un tribunal de Californie (US district Court for the Nothern District of California), pour contrefaçon du droit d’auteur, violation des secrets commerciaux et violation du droit de la concurrence, en lien avec la solution HANA commercialisée par SAP.(lire la demande https://assets.teradata.com/News/2018/2018-06-19-Complaint.pdf)

Selon Teradata, SAP se serait rapprochée d’elle dans le cadre d’une joint-venture dont l’objectif affiché était de développer une solution combinant son ERP avec les technologies de stockage et d’analyse de données de Teradata et aurait profité de cette collaboration pour accéder aux secrets commerciaux et à la propriété intellectuelle de Teradata pour développer dans un délai particulièrement court sa propre solution HANA, reprenant la technologie de Teradata à laquelle elle a ainsi pu avoir accès, pour enfin rompre la collaboration dès la commercialisation de sa solution HANA.

Toujours selon Teradata, SAP aurait ensuite utilisé sa position auprès de ses clients pour limiter significativement les possibilités pour les solutions Teradata d’accéder aux données gérées par les solutions SAP de ses clients et pour empêcher Teradata d’accéder au marché des grandes entreprises qui restent extrêmement captives, en raison du coût élevé qu’implique le passage à une solution concurrente.

Aux termes de son acte introductif, Teradata demande qu’il soit fait injonction à SAP de cesser d’utiliser sa technologie, qu’elle soit condamnée pour contrefaçon du droit d’auteur, violation de secrets commerciaux et violation du droit de la concurrence et sollicite la réparation de son préjudice qu’elle n’a, à l’heure actuelle, pas chiffré.

Pour sa part, SAP s’est déclarée surprise par cette action et se réserve de réagir après avoir étudié la plainte.

Dans son acte introductif d’instance, Teradata se présente comme le pionnier et le spécialiste de l’analyse et de l’entreposage de données d’entreprises (EDAW : Enterprise Data Analytics and Warehousing) et de la technologie MPP (Massively Parallel Processing) mis en œuvre dans son produit phare Teradata Database. Cette technologie spécifique, permettant de stocker et d’analyser un très grand volume de données disparates était utilisée par de grandes entreprises, en complément de progiciels intégrés destinés à la gestion des entreprises (ERP), tels que les solutions commercialisées par SAP, les bases de données transactionnelles utilisées par ce type de solution n’étant pas compatibles avec la technologie de Teradata.

Teradata précise qu’elle a toujours porté un grand soin à la protection de ses technologies et de ses informations confidentielles.

Teradata expose que, en 2008, SAP et elle se sont rapprochées dans le cadre d’un projet dénommé « bridge project », matérialisé par une joint-venture, dont l’objet était de combiner les deux mondes, l’ERP de SAP et les technologies EDAW et MPP de Teradata.

Dans le cadre de ce partenariat, Teradata indique qu’elle a mis à la disposition de SAP de nombreux éléments couverts par des droits de propriété intellectuelle et par le secret, après avoir conclu un engagement de confidentialité avec SAP.

Selon Teradata, SAP, tout en collaborant avec elle, aurait utilisé les éléments transmis sous le sceau de la confidentialité pour développer en parallèle son produit HANA. Pour cela, elle aurait, notamment, affecté à son nouveau projet des salariés ayant travaillé dans le cadre du partenariat et ayant donc eu accès à des informations confidentielles.

La solution HANA a été commercialisée par SAP à partir de juin 2011 et, dès août 2011, Teradata indique que SAP a mis fin de manière unilatérale au partenariat.

Teradata écrit qu’elle s’est rendue compte du pillage de sa technologie à l’occasion de la parution d’un article dans l’hebdomadaire allemand Der Spiegel en septembre 2015. Dans cet article, un salarié de SAP déclarait qu’il avait découvert, notamment, que son employeur se serait approprié illégitimement des éléments couverts par les droits de propriété intellectuelle et des informations confidentielles de Teradata obtenus au cours du partenariat.

Pour Teradata, ces allégations expliqueraient pourquoi SAP a pu concevoir et commercialiser son offre HANA en si peu de temps.

Puis, toujours selon Teradata, SAP aurait mis en place des pratiques anticoncurrentielles destinées à l’écarter du marché de l’analyse et du stockage des données et à imposer sa solution HANA en lieu et place des technologies de Teradata. Notamment, Teradata écrit que SAP aurait limité, voire interdit la communication entre sa solution et les bases de données de Teradata, notamment au moyen de clauses contractuelles restrictives, au point que certains clients communs auraient menacé de mettre fin à leurs relations avec Teradata, dès lors que ses produits ne pourraient pas accéder aux données stockées dans la solution SAP.

En l’état, le récit qui ressort de l’acte introductif d’instance de Teradata reste imprécis et n’est étayé par aucun document et témoignage précis.

Les étapes ultérieures de la procédure permettront probablement d’apprécier d’une manière plus fine l’ensemble de ces allégations. Tout au plus peut-on dire, en l’état actuel, que les pratiques contractuelles et tarifaires passées et présentes de SAP ne favorisent pas les échanges de données entre sa solution et les solutions tierces, soit que SAP considère que de tels échanges sont contractuellement interdits, soit qu’ils nécessitent la facturation de licences supplémentaires, sans que les prix de telles licences soit connus à l’avance.

Quel que soit le mérite sur le fond de l’action de Teradata, il est certain que cette procédure a fait naitre des inquiétudes chez les utilisateurs de la solution SAP HANA, notamment en raison de la demande d’interdiction provisoire et définitive de l’exploitation de cette solution, si les griefs présentés par Teradata devaient être accueillis par le tribunal.

Sans porter une appréciation sur le bien ou le mal fondé de l’action de Teradata, il apparait peu probable qu’une interdiction soit prononcée.

A cet égard, on peut tout d’abord évoquer le précédent Apple -Samsung. En 2011, Apple a introduit une procédure à l’encontre de Samsung fondée sur le fait que certains téléphones portables commercialisés par Samsung reproduisaient servilement des éléments des iPhones protégés, notamment, par des titres de dessins et modèles (patent design). Samsung a été condamnée pour contrefaçon et à payer des dommages et intérêts à Apple (à la suite d’une condamnation de Samsung à payer à Apple une somme de 539 millions de dollars intervenue en mai dernier, les parties ont récemment informé le juge qu’elles avaient mis un terme à leur litige par un accord transactionnel). Bien que la contrefaçon ait été reconnue, aucune interdiction n’a été prononcée, que ce soit provisoirement en cours de procédure ou à titre définitif, alors qu’une telle demande avait été présentée par Apple.

Dans la mesure où les litiges Apple-Samsung et Teradata-SAP sont soumis au même tribunal, il n’est pas inutile de garder à l’esprit le précédent Apple-Samsung.

Ensuite, l’argumentaire présenté par Teradata concerne essentiellement la version initiale de la solution SAP HANA qui était destinée à être installée chez le client et non pas la version actuelle accessible en mode SAAS. Même si le tribunal devait juger que celle-ci contrefait les œuvres logicielles de Teradata, l’interdiction qui pourrait être prononcée porterait donc sur cette solution initiale et non pas sur les versions ultérieures.

De plus, SAP aura la faculté de faire évoluer sa solution en fonction des éléments factuels qui seront divulgués par Teradata au cours de la procédure, de manière à éliminer les éventuels points de contact entre sa solution et les produits de Teradata concernés par la procédure.

Enfin, une interdiction, temporaire ou définitive, qui serait prononcée par un tribunal américain ne pourrait s’appliquer que sur le territoire américain. Les clients de SAP situés hors de ce territoire ne risqueraient donc pas d’être touchés par une telle mesure.

 

Claudia WEBER – Avocat Associé et Jean-Christophe IENNE – Avocat

ITLAW Avocats

 

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