Pour l’autorité de la concurrence allemande, la pratique consistant pour Facebook à agréger autour des profils de ses utilisateurs les données collectées à partir d’autres services de la même société, tels que WhatsApp et Instagram, et à partir de sites tiers, sans donner d’informations claires à l’utilisateur ni recueillir son consentement explicite, caractérise un abus de position dominante sur le marché des réseaux sociaux.

 

 

Le Bundeskartellamt, l’Autorité de la concurrence allemande, a publié le 7 février 2019 une décision par laquelle elle considère que Facebook détient une position dominante sur le marché allemand des réseaux sociaux et que les conditions dans lesquelles celui-ci collecte et utilise les données de ses utilisateurs constituent une exploitation abusive de cette position dominante.

 

En conséquence, elle enjoint Facebook de modifier dans un délai de 4 mois ses pratiques de collecte des données personnelles de ses utilisateurs et de recueil de leur consentement, ainsi que les modalités techniques d’agrégation et d’exploitation de ces données.

 

Que la position de Facebook sur le marché allemand des réseaux sociaux soit qualifiée de dominante par le Bundeskartellamt n’a rien d’étonnant. A cet égard, l’enquête menée pendant trois ans par l’autorité de la concurrence allemande a permis d’établir que Facebook détient une part de marché des réseaux sociaux allemands d’au moins 90 %, avec 32 millions d’utilisateurs chaque mois, dont 23 millions qui se connectent au réseau chaque jour. A cela s’ajoute le fait que le groupe Facebook, considéré dans son ensemble, dispose d’un pouvoir de marché significatif.

 

Une exploitation abusive caractérisée par la violation des règles relatives aux données personnelles

 

En revanche, la caractérisation de l’exploitation abusive par référence aux règles applicables aux données personnelles peut apparaître plus surprenante. Cette démarche avait toutefois été annoncée dans une étude conjointe de l’Autorité de la concurrence française et du Bundeskartellamt sur les données et leurs enjeux pour l’application du droit de la concurrence, publiée en mai 2016.

 

Dans sa décision, le Bundeskartellamt relève que Facebook, par sa position dominante :

  • est en mesure d’imposer à l’utilisateur des conditions d’utilisation du son service qui lui permettent de collecter les données de l’utilisateur non seulement via le service Facebook lui-même, mais encore via les services WhatsApp et Instagram, appartenant au même groupe, et sur des sites tiers ayant recours à « Facebook Analytics » ou aux boutons « J’aime » ou « Je partage » ;

  • et d’agréger l’ensemble de ces données dans le compte Facebook de l’utilisateur en vue de leur exploitation la plus large ;

  • sans que l’utilisateur ne dispose d’une information suffisante sur la collecte et l’utilisation de ses données et ne donne son consentement à aucune d’elles, celui-ci se voyant imposer soit d’accepter en bloc les conditions, soit de renoncer au service sans disposer sur le marché d’une solution de substitution comparable.

Dans ce contexte, le fait de ne pas informer les utilisateurs allemands ou de leur imposer, selon les cas, la collecte et la cession illimitée de leurs données personnelles collectées à partir des services Facebook, WhatsApp et Instagram ou de tout autre site internet intégrant des boutons « J’aime », constitue un abus de position dominante qui fausse le jeu de la concurrence.

Le Bundeskartellamt considère en effet que ces pratiques caractérisent l’exploitation abusive de sa position dominante :

  • au détriment de l’utilisateur du service, qui se voit dépossédé de ses données sans même en avoir conscience,
  • en ce qu’elles empêchent l’émergence de concurrents sur le marché des réseaux sociaux,
  • en ce qu’elles affectent le marché de la publicité sur les réseaux sociaux.

En conséquence, l’autorité allemande demande à Facebook de mettre en place les mesures suivantes dans un délai de 4 mois:

  • pour ce qui concerne les services qui appartiennent au groupe : ne fusionner dans le compte Facebook de l’utilisateur l’ensemble des donnée collectées sur ces services que sur la base du consentement explicite de l’utilisateur ; à défaut d’un tel consentement, cantonner les données collectées au seul service sur lequel elles ont été collectées ;

  • pour ce qui concerne la collecte de données sur des services tiers : collecte et fusion avec les données du compte Facebook uniquement sur la base d’un consentement explicite.

 

Par les mesures ordonnées, l’autorité de la concurrence allemande cherche d’abord à rétablir le fonctionnement normal du marché. Elle n’exclut toutefois pas d’imposer des sanctions pécuniaires, parmi lesquelles une amende pouvant atteindre 10 % du chiffre d’affaires annuel, à défaut d’exécution de sa décision par Facebook.

 

Cette décision n’empêche évidemment pas l’autorité allemande chargées des données personnelles de se saisir à son tour de cette question.

 

Cette décision intervient peu de temps après l’annonce par Mark Zuckerberg du projet de fusion des différentes messageries instantanées disponibles à partir de Facebook, WhatsApp et Instagram. Ce projet de rapprochement, déjà sous haute surveillance, devra désormais être mené à la lumière de la décision présente.

 

Jean-Christophe Ienné, avocat, directeur des pôles Propriété intellectuelle & industrielle, Médias & Audiovisuel et Internet et Mathieu Vincens, juriste

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