Le service Google My Business génère une importante activité jurisprudentielle à l’initiative des professionnels soucieux de maitriser leur image. Voici un bilan des décisions rendues.

 

Le service « Google My Business » consiste en un annuaire des professionnels, généré automatiquement à partir des informations publiques disponibles, sans autorisation ni information préalables des professionnels.

Chaque entrée est constituée d’une fiche sur le professionnel présentant ses coordonnées et sa localisation via Google Maps ainsi que d’un espace sur lequel toute personne disposant d’un compte Google peut déposer des avis et associer une note au professionnel, tout en pouvant rester anonyme.

De nombreux professionnels, notamment dans le domaine de la santé, sont confrontés à des commentaires négatifs et anonymes. En avril 2018, un chirurgien-dentiste a obtenu par une ordonnance de référé la suppression de sa fiche Google My Business, sur le fondement de la violation de son droit d’opposition au traitement de ses données à caractère personnel par la plateforme. Cette décision a depuis été suivie de nombreuses autres, donnant des solutions souvent moins favorables aux professionnels.

Il est temps de faire un bilan afin de voir comment les juges répondent aux demandes de suppression d’une fiche Google My Business ou d’avis négatifs et de communication des coordonnées de l’auteur d’un avis.

 

Le professionnel peut-il s’opposer à la création de sa fiche Google My Business ?

Dans l’affaire précitée, le juge des référé parisiens a accueilli la demande de suppression de sa fiche par un chirurgien-dentiste, aux motifs que :

  • les données de la fiche annuaire sont des données à caractère personnel auxquelles s’appliquent le droit de la protection des données ( à l’époque des fait, la loi informatique et liberté du 6 janvier 1978) ;
  • les correspondances adressées par Google pour proposer des services payants constituent des actions de prospections commerciales réalisées malgré l’opposition du praticien et donc en violation de l’article 226-18-1 du Code pénal (interdiction, notamment, de procéder à un traitement de données à caractère personnel concernant une personne physique et malgré son opposition, lorsque ce traitement répond à des fins de prospection commerciale).

Trois décisions de 2019 proposent une analyse différente en considérant que le droit des données à caractère personnel ne justifie pas en lui-même la suppression d’une fiche My Google Business.

Ces trois décisions retiennent que les informations rassemblées sur la fiche (nom, adresse du lieu d’exercice professionnel et numéro de téléphone professionnel) sont bien des données à caractère personnel, mais qu’elles ne relèvent pas pour autant de la sphère privée et quelles sont publiques, pour en conclure qu’il n’y a pas manifestement atteint aux droits des données à caractère personnel.

Dans une ordonnance de référé rendue à Paris le 12 avril 2019, le juge refuse la demande de suppression d’une fiche, aux motifs que :

  • la mise en place d’un espace destiné au recueil des avis des internautes relève d’un intérêt légitime d’information du consommateur ;
  • le professionnel a la possibilité de signaler à l’opérateur de la plateforme les propos dépassant les limites admissibles à la liberté d’expression ;
  • la suppression pure et simple de la fiche du professionnel sur la base de son droit d’opposition à ce que des données à caractère personnel le concernant fassent l’objet d’un traitement contreviendrait au principe de la liberté d’expression.

 

Dans une ordonnance de référé rendue à Paris le 11 juillet 2019, le juge refuse la suppression d’une fiche concernant un dentiste, aux motifs que :

  • le service poursuit une finalité légitime au regard de l’article 6 § 1 f) du RGPD, en ce qu’il permet l’accès rapide des internautes aux informations pratiques sur les professionnels de santé ;
  • le demandeur échoue à justifier d’un motif légitime dans l’exercice de son droit d’opposition au sens du droit de la protection des données à caractère personnel ;
  • au regard au droit à l’effacement (droit à l’oubli) il ne peut pas être demandé la suppression « de la Fiche Entreprise dans la mesure où ce traitement « est nécessaire à l’exercice de la liberté d’expression et d’information » au sens de l’article 17§3 du RGPD», en ce qu’elle permet la diffusion d’avis.

 

Dans une ordonnance de référé rendue à Metz du 16 juillet 2019, le juge refuse également la suppression d’une fiche, concernant un psychiatre, aux motifs que :

  • le traitement des données à caractère personnel réalisé par le service Google My Business est justifié par l’intérêt légitime du public de pouvoir identifier un professionnel pouvant faire l’objet de commentaires ;
  • faire droit au droit d’opposition et ordonner la suppression de la fiche contreviendrait à la liberté d’expression, alors qu’il existe un dispositif de signalement des propos excessifs ou illicites.

 

En résumé, il apparaît en l’état difficile pour un professionnel de s’opposer à la création de sa fiche sur le service Google My Business, les juges ayant tendance à faire prévaloir les intérêts de la plateforme (au titre d’un intérêt légitime à mettre en place le traitement constitué par le service) et les intérêts des internautes (au titre de la liberté d’expression et du droit à l’information), sur les intérêts du professionnel.

 

Le professionnel peut-il obtenir la suppression d’un avis auprès de la plateforme ?

Si la suppression de la fiche apparait difficile à obtenir, il reste possible pour le professionnel de demander la suppression des avis malveillants à l’exploitant de la plateforme. Si Google se réserve la faculté de supprimer tout commentaire qui ne respecte pas, notamment, la politique de publication du service, la question se pose des voies ouvertes au professionnel en cas de refus de suppression de la part de Google.

En premier niveau, le professionnel peut s’adresser directement à Google, en sa qualité d’hébergeur. L’article 6 de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) prévoit que l’hébergeur n’est pas responsable des contenus qu’il stocke s’il n’a pas connaissance de leur caractère illicite, mais que cette immunité cesse s’il ne retire pas promptement les contenus illicites portés à sa connaissance. Le professionnel peut donc signaler à Google un avis qu’il considère comme illicite et lui demander de le retirer.

Le code de la consommation prévoit de son côté que les personnes qui ont pour activité, même à titre accessoire, de collecter, de modérer ou de diffuser des avis en ligne provenant de consommateurs doivent mettre en place « une fonctionnalité gratuite qui permet aux responsables des produits ou des services faisant l’objet d’un avis en ligne de lui signaler un doute sur l’authenticité de cet avis, à condition que ce signalement soit motivé » (article L 111 – 7 – 2). Le professionnel peut donc utiliser cette voie, si la fonctionnalité ainsi exigée par la loi est effectivement mise en place.

En deuxième niveau, en cas d’absence de réaction de l’hébergeur, le professionnel peut agir sur requête ou en référé afin de demander le retrait, sur la base de l’article 6-I.8. de la LCEN ou du droit commun des référés.

Le juge saisi en référé ou sur requête étant le juge de « l’évidence », seuls les avis dépassant de manière manifeste les limites admissibles à la liberté d’expression pourront faire l’objet d’une suppression.

À cet égard, la jurisprudence récente apparaît plutôt bienveillante à l’égard du service Google My Business, en considérant qu’il participe à l’information du public.

Cela ressort, par exemple, de la décision de la Cour d’appel de Paris du 22 mars 2019 qui refuse la suppression d’avis en retenant que ceux-ci « relèvent plutôt de la libre critique et de l’expression subjective d’une opinion ou d’un ressenti de patients déçus pour les deux premiers et d’un commentaire extérieur pour le troisième. En cela ils participent de l’enrichissement de la fiche professionnelle de l’intéressé et du débat qui peut s’instaurer entre les internautes et lui, notamment au moyen de réponses que le professionnel est en droit d’apporter à la suite des publications qu’il conteste ».

Cette approche est également celle retenue par le juge des référés de Paris dans son ordonnance du 11 juillet 2019 et de Metz dans son ordonnance du 16 juillet 2019.

Le professionnel qui n’a pas obtenu satisfaction auprès de Google a encore la possibilité de se retourner contre l’auteur de l’avis litigieux. Pour cela, il doit disposer de ses coordonnées.

 

Le professionnel peut-il obtenir les coordonnées de l’auteurs d’un avis le mettant en cause ?

Le professionnel peut demander la communication des coordonnées de l’auteur d’un avis qui le met en cause. Pour cela il doit d’abord s’adresser à Google pour qu’il lui communique les informations techniques du compte Google de l’auteur de l’avis (adresse IP et adresse mail), puis au fournisseur d’accès à Internet pour qu’il lui communique les coordonnées du titulaire de ces adresses. Pratiquement, pour obtenir ces informations, le professionnel doit agir par deux ordonnances sur requête successives.

Dans une ordonnance du 11 juillet 2019, le juge des référés de Paris a répondu favorablement à une telle demande de communication. Le juge a estimé, que la demande de communication reposait sur un motif légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile, qui autorise le juge à ordonner toutes les mesures d’instruction légalement admissibles s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige. En l’espèce, le professionnel faisait valoir son intention de poursuivre en réparation des préjudices subis les auteurs des commentaires « insultants et dénigrants ».

Une fois ces coordonnées obtenues, un débat au fond peut s’instaurer avec l’auteur de l’avis litigieux et, le cas échéant, sa condamnation peut être obtenue, comme c’est le cas dans le jugement du tribunal de grande instance de Nanterre du 21 novembre 2019.

Toutefois, il arrive que le juge fasse prévaloir l’anonymat de l’auteur d’un avis mettant en cause un professionnel sur les intérêts de ce dernier, interdisant ainsi tout débat au fond. C’est ainsi que le juge des référés de Metz a refusé, dans une ordonnance du 16 juillet 2019, la communication de telles informations, au motif que cela reviendrait à lever l’anonymat des auteurs des commentaires litigieux.  Pour refuser la communication des coordonnées de l’auteur d’un avis, le juge pose en principe que « l’anonymat permet d’assurer la libre expression sur Internet », puis retient qu’il « n’apparaît pas justifié de forcer la suppression de commentaires négatifs par des moyens attentatoires à la vie privée dans le but de préserver la réputation d’un praticien. Ceci d’autant que cette dernière peut être contrebalancée tant par d’autres commentaires positifs que par exemple une attitude exemplaire du praticien ».

Au final, il apparaît à la lecture des décisions rendues au sujet du service Google My Business que le professionnel doit accepter d’être référencé et de faire l’objet d’avis et d’une notation et que la possibilité de demander le retrait d’un avis défavorable est, somme toute, strictement encadrée.

 

Jean-Christophe Ienné, avocat, directeur des pôles Propriété intellectuelle & industrielle, Médias & Audiovisuel et Internet et Mathieu Vincens, juriste

 

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