Le 20 décembre 2019, l’Office européen des Brevets a annoncé avoir rejeté deux demandes de brevet européen qui indiquaient que l’inventeur était un outil d’intelligence artificielle. L’Office a publié la motivation de ces décisions le 27 janvier 2020, aux termes de laquelle un inventeur doit nécessairement être une personne physique. Ces décisions posent les termes du débat, mais ne le clos pas.

L’Office européen des Brevets (OEB) est une organisation intergouvernementale en charge de l’examen et de la délivrance des brevets européens, dans le cadre de la convention sur le brevet européen de Munich du 5 octobre 1973 (CBE).

La CBE met en place un système centralisé d’examen et de délivrance de brevets pour les pays qui en sont signataires. L’examen de la demande de brevet européen est confié à l’OEB. Le cas échéant, il débouche sur la délivrance d’un brevet européen valable sur le territoire des Etats éligibles désignés dans la demande.

Les demandes de brevets rejetées

Les demandes de brevet concernaient deux inventions : un récipient pour boissons basé sur la géométrie fractale et un dispositif embarquant une lumière vacillante pour attirer l’attention pendant des opérations de recherche et de sauvetage.

Lors du dépôt des demandes, en octobre 2018, le déposant n’avait pas indiqué le nom de l’inventeur, information pourtant requise. En réponse à une demande de précision de l’OEB, le déposant a indiqué que l’inventeur était un outil d’intelligence artificielle dénommé DABUS, lui-même breveté, et que cet outil lui appartenait.

Des échanges sont intervenus entre l’OEB et le déposant sur cette question, qui ont conduit à son audition fin novembre 2019.

L’OEB a pris la décision de rejeter les deux demandes le 20 décembre 2019 et a rendu public les motifs de sa décision le 27 janvier 2020. 

La position de l’OEB sur la qualité d’inventeur

Pour l’OEB, une invention, au sens de la convention sur le brevet européen (CBE), ne peut être le fait que d’une personne physique. Dès lors, l’indication d’un outil d’intelligence artificielle comme inventeur dans la demande de brevet ne satisfait pas aux règles de la convention et la demande doit être rejetée.

L’OEB relève que la désignation d’une machine (une chose au sens juridique) en qualité d’inventeur dans une demande de brevet ne satisfait pas aux exigences de forme posées par l’article 81 de la CBE et par l’article 19 (1) de son règlement d’exécution. Le premier de ces textes précise que « La demande de brevet européen doit comprendre la désignation de l’inventeur » et le second que la demande « doit comporter le nom, les prénoms et l’adresse complète de l’inventeur (…) ». L’OEB en conclu au rejet des deux demandes.

À proprement parler, ces textes ne prévoient pas expressément que l’inventeur doit être une personne physique pour que l’invention puisse être brevetable. Toutefois, dans sa motivation, l’OEB semble en faire l’expression sur le plan de la procédure de dépôt d’un principe implicite sous tendant la CBE. Principe qu’elle s’attache à dégager à partir d’un faisceau d’indices dont les principaux sont les suivants :

  • les travaux préparatoires de la CBE n’envisagent l’inventeur que comme une personne physique ;
  • la convention accorde à l’inventeur un certain nombre de droits lui permettant de faire valoir sa qualité, droits qu’une chose ne pourrait évidemment pas mettre en oeuvre ;
  • les chambres de recours de l’OEB considèrent que l’inventeur est une personne physique.

Il n’est pas réellement étonnant que la CBE ne pose pas de manière explicite le principe que l’inventeur doit être une personne physique. En effet, à l’époque où elle a été mise en place, au début des années 70, l’hypothèse d’une invention générée de manière autonome par une machine n’était pas envisagée, si bien que l’identité entre inventeur et personne physique était alors une évidence. La convention a donc été rédigée sur la base du principe implicite que l’inventeur est une personne physique.

L’OEB ajoute que l’exigence d’un inventeur personne physique est un standard international appliqué dans tous les pays. Il se réfère, notamment, à une consultation menée auprès de ses membres en 2018/19, aux termes de laquelle la majorité des Etats retient cette exigence.

En France, par exemple, il est généralement admis que l’inventeur doit être une personne physique. Si là encore le code de la propriété intellectuelle ne le dit pas explicitement, il contient des dispositions en ce sens :

  • l’article L611-6 dispose que le droit sur le brevet « appartient à l’inventeur ou à son ayant cause», or une chose, ce qu’est juridiquement un outil d’intelligence artificielle, ne peut pas être titulaire d’un droit quel qu’il soit et notamment d’un droit de propriété sur un brevet ;
  • l’article L611-9 reconnait à l’inventeur un droit de paternité sur son invention, certes succinct, qui n’a de sens que si le l’inventeur est une personne physique.

Dès lors, l’OEB pouvait difficilement de sa propre initiative admettre la brevetabilité d’une invention sans inventeur personne physique, car cela aurait eu pour conséquence d’imposer aux Etats contractants de reconnaitre l’existence d’inventions sans inventeurs, en contradiction avec leur droit national.

De l’OEB à l’OMPI

Le débat n’est toutefois pas refermé. Il se poursuit actuellement au sein de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI). Cette organisation a initié en septembre 2019 un dialogue sur la propriété intellectuelle et l’intelligence artificielle qui a donné lieu à une consultation close le 14 février 2020 et qui a reçu 250 réponses. Parmi les questions d’actualité recensées figure la question suivante : « la loi doit-elle exclure de la protection par brevet toute invention créée de façon autonome par une application d’intelligence artificielle ? ». Le résultat de cette consultation sera discuté au sein de l’OMPI lors de la deuxième session du dialogue en mai prochain. A suivre donc.

Jean-Christophe Ienné, avocat, directeur des pôles Propriété intellectuelle & industrielle, Médias & Audiovisuel et Internet

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