Avant même l’adoption définitive de la directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique, deux de ses mesures phares, le droit voisin des éditeurs de presse et la responsabilité des plateformes de partage de contenus en ligne, font l’objet de mesures de mise en œuvre en France.

 

La directive droit d’auteur dans le marché unique numérique, adoptée définitivement par le Conseil européen le 15 avril 2019, dans la rédaction votée en session plénière par le Parlement européen le 26 mars, a créé un droit voisin au profit des éditeurs de presse et introduit une obligation de filtrage des contenus protégés pesant sur les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne. Ces dispositions font déjà l’objet de mesures de mise en œuvre en France.

Droit voisin des éditeurs de presse

 

La directive droit d’auteur dans le marché unique numérique a consacré, notamment, un droit voisin au profit des éditeurs et agences de presse.

 

Un tel droit voisin a déjà été mis en place en Allemagne dès 2013, sans réel effet face à la puissance de Google. Malgré ce nouveau droit, de nombreux éditeurs de presse ont en effet accepté de conclure des licences gratuites avec Google.

 

De plus, cette législation fait actuellement l’objet d’un recours devant la cour de justice de l’Union européenne, fondée sur le fait qu’elle aurait dû être notifiée à la Commission, au motif qu’il s’agirait d’une règle technique visant un service de la société de l’information.

 

Pour répondre au même problème, l’Espagne a choisi une autre voie que celle du droit voisin. En 2014, il a été introduit dans la loi espagnole sur le droit d’auteur une nouvelle exception qui couvre la mise à disposition du public par les services d’agrégation de contenus de fragments d’articles de presse d’information générale ou de loisir. Cette exception est compensée par la mise en place d’une rémunération équitable à la charge des agrégateurs.

 

En Espagne également, la démarche a été un échec : certains agrégateurs de contenus de presse ont mis un terme à leur service et Google a fermé son service Google News en Espagne.

 

En France, une proposition de loi instituant un droit voisin au profit des éditeurs de presse a été débattue devant l’Assemblée nationale au cours du premier semestre 2018. Le texte a fait l’objet d’un renvoi en commission en mai 2018, dans l’attente de l’adoption de la directive droit d’auteur dans le marché unique numérique.

 

Le Sénat s’est alors saisi de la question à la rentrée 2018. Une proposition de loi créant un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse a été adoptée le 24 janvier 2019 et transmise à l’Assemblée nationale.

 

Le texte en cours d’adoption crée un nouvel article L.218-1 au sein du Code de la propriété intellectuelle selon lequel

« On entend par publication de presse au sens du présent chapitre une collection composée principalement d’œuvres littéraires de nature journalistique, qui peut également comprendre d’autres œuvres ou objets protégés et constitue une unité au sein d’une publication périodique ou régulièrement actualisée portant un titre unique dans le but de fournir au public des informations sur l’actualité ou d’autres sujets publiées sur tout support à l’initiative, sous la responsabilité éditoriale et sous le contrôle d’un prestataire de services ».

 

Il est précisé que les périodiques à des fins scientifiques et universitaires seront exclus de cette protection.

 

Il est prévu que l’autorisation de l’éditeur de presse ou de l’agence de presse sera requise avant toute reproduction ou communication au public de ses publications sous forme numérique par un site internet. Si l’éditeur ou l’agence de presse autorise la reproduction ou la communication au public de ses œuvres, ce dernier se verra allouer par le site en question une rémunération, assise sur les recettes de l’exploitation ou à défaut, évaluée forfaitairement. Les journalistes devront recevoir une part de cette rémunération.

 

La durée des droits patrimoniaux des éditeurs de presse est fixée à cinq années à compter du 1er janvier de l’année civile suivant celle de la première publication.

 

Maintenant que le texte définitif de la directive droit d’auteur est connu, le législateur pourra adapter le texte en discussion, pour s’y conformer.

Les mesures de filtrage des œuvres

 

La directive prévoit pour les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne une obligation de filtrage des contenus protégés, à certaines conditions.

 

La mise en place de filtres nécessite au préalable de pouvoir identifier les œuvres concernées.

 

Le perfectionnement des outils de reconnaissance, dont certains sont déjà en place (content ID sur Youtube, par exemple), s’avère donc crucial puisqu’ils permettent de détecter la présence d’œuvres protégées sur les sites. Ils constituent la première étape du filtrage.

 

Dans cette perspective, le ministre de la culture, Franck Riester, a annoncé le 27 mars le lancement d’une mission conjointe entre la HADOPI, le CNC et le CSPLA sur les outils de reconnaissance des contenus protégés sur les plateformes afin de rendre efficace l’article 17 du texte européen, à peine voté par le Parlement. Cette mission a pour objet :

  • d’évaluer l’efficacité et la pertinence des outils techniques existants : appréciation de leur performance en mesurant leurs éventuelles limites, ainsi que leur finesse, en analysant les risques de retraits injustifiés de contenus ;

  • de formuler des recommandations sur l’utilisation de ces technologies dans le cadre de la nouvelle directive sur le droit d’auteur.

Pour sa part, le CSPLA avait déjà rendu un rapport sur cette question en décembre 2017.

 

Les conclusions de la mission devront contribuer à nourrir les propositions françaises au niveau européen. Elles sont attendues pour l’automne prochain.

 

A noter que les autorités françaises ne sont pas toujours aussi rapides pour mettre en œuvre les mesures issues de directives européennes. Par exemple, la transposition de la directive « paquet marque » qui devait intervenir avant la fin du mois de janvier 2019 vient seulement de faire l’objet d’une autorisation législative de transposition par voie d’ordonnance dans la loi PACTE.

 

 

Jean-Christophe Ienné, avocat, directeur des pôles Propriété intellectuelle & industrielle, Médias & Audiovisuel et Internet

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