Le sample est-il licite ?

 

Dans un arrêt du 29 juillet 2019 (C-476/17), la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) considère que la reprise d’une séquence rythmique de 2 secondes d’un phonogramme pour en faire la base rythmique d’un autre phonogramme est libre dès lors que la séquence reprise est modifiée et non reconnaissable une fois intégrée dans le phonogramme de destination

 

Saisi par la Cour fédérale de justice d’Allemagne, la CJUE se prononce sur l’utilisation de la technique du sampling dans le cadre d’un contentieux vieux de plus de 20 ans entre le groupe de musique électronique Kraftwerk et le producteur de musique Moses Pelham. Les membres du groupe Kraftwerk, en tant que producteur de phonogramme, reprochaient à Moses Pelham d’avoir, sans leur autorisation, réalisé une boucle rythmique à partir d’un échantillon d’environ deux secondes d’une séquence rythmique extraite du morceau « Metal auf Metal », répété de multiples fois, et d’avoir incorporé cette boucle dans un titre intitulé « Nur mir » de la rappeuse Sabrina Setlur.

Le producteur d’un phonogramme, constitué ici de l’enregistrement du morceau « Metal auf Metal », est titulaire du « droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, en tout ou partie » de celui-ci. Ce droit est défini par l’article 2 de la Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information.

La question centrale posée à la CJUE était de savoir si le sample était constitutif d’une reproduction du phonogramme « Metal auf Metal », telle qu’elle est définie ci-avant.

La Cour rappelle d’abord qu’en application de la directive 2001/29/CE, le producteur de phonogramme détient le droit d’autoriser ou d’interdire l’utilisation de ses productions musicales et qu’à ce titre, il peut s’opposer à la réutilisation d’un extrait, même très bref.

La Cour relève ensuite que les droits d’auteur et les droits voisins ne confèrent pas à leurs titulaires une protection absolue, mais que ces droits sont en balance avec les autres droits fondamentaux tels que la liberté des arts, consacrée par l’article 13 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Pour la Cour, « la technique de l’« échantillonnage » (sampling), qui consiste, pour un utilisateur, à prélever, le plus souvent à l’aide d’équipements électroniques, un échantillon d’un phonogramme, et à l’utiliser aux fins de la création d’une nouvelle œuvre, constitue une forme d’expression artistique qui relève de la liberté des arts ».

La Cour considère dès lors que prélever un sample sur un phonogramme pour créer une nouvelle œuvre en modifiant le sample et en le rendant non reconnaissable à l’écoute n’est pas constitutif d’une reproduction au sens de la directive, sauf à méconnaître le juste équilibre entre les droits du producteur et la liberté de la création.

La Cour ajoute que, si l’œuvre issue d’un sample n’est pas une reproduction du phonogramme objet de l’emprunt, elle n’en est pas plus une copie.  À cet égard, la CJCE précise que pour qu’il y ait copie d’un phonogramme, il faut que celui-ci soit repris en totalité ou de manière substantielle, ce qui n’est pas le cas avec la technique du sampling.

Jusqu’à cette décision, il était assez largement considéré qu’il n’était pas possible d’interdire le résultat d’un sampling sur la base des droits de l’auteur de la composition musicale objet de l’échantillonnage. En effet, la reprise d’un fragment d’une composition musicale n’est a priori pas constitutive d’une contrefaçon en raison de sa brièveté. Tout au plus y aurait-il reprise d’une sonorité qui n’est pas protégée par le droit d’auteur.

 En revanche il était considéré que les droits reconnus aux producteurs d’un phonogramme pouvaient constituer une base juridique suffisante pour interdire un tel sampling, car la finalité de ces droits est la protection de l’investissement réalisé par le producteur pour la fixation du phonogramme. Or le sampling consiste à reprendre une valeur économique protégée par un droit voisin.

Avec cette décision, la CJUE fait prévaloir le parti de la création sur celui de la protection des droits de propriété intellectuelle.

Par ailleurs, la Cour précise la notion de « citation », entendue comme une exception ou une limitation aux droits des auteurs et des titulaires de droits voisins, en précisant que pour qu’il y ait citation, l’œuvre citée doit être identifiable dans l’œuvre citante.

Enfin, la Cour apporte les précisions suivantes sur l’harmonisation du droit d’auteur et des droits voisins dans l’Union européenne :

  • le droit de reproduction, tel qu’il est défini à l’article 2 de la directive 2001/29, fait l’objet d’une harmonisation complète : la législation des États membres ne peut donc pas s’en éloigner ;
  • les exceptions et les limitations aux droit d’auteur et aux droits voisins définies dans cette même directive sont exhaustives : les états membres ne peuvent donc pas introduire d’autres exceptions et limitations dans leur législation.

Jean-Christophe Ienné, avocat, directeur des pôles Propriété intellectuelle & industrielle, Médias & Audiovisuel et Internet & Mathieu Vincens, juriste

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