Ces dernières semaines, dans le contexte de la crise sanitaire liée au Covid-19, de nombreux drones ont été déployés sur le territoire français, munis de caméras et de haut-parleurs pouvant adresser des messages, afin notamment de surveiller le respect des mesures gouvernementales.

Cette utilisation nouvelle et intrusive soulève de nombreuses questions quant à leurs conditions d’utilisation.

Le 18 mai 2020, le Conseil d’Etat répond à certaines questions.

 

Les associations, la Quadrature du Net (LQDN) et la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) ont en effet saisi le Tribunal administratif de Paris aux fins de faire cesser l’utilisation de drones qui seraient équipés de « caméras à haute définition, volant à basse altitude », « suffisamment précises pour identifier des personnes ». Dès lors, selon ces dernières, un traitement de données à caractère personnel serait effectué et certaines obligations légales n’auraient pas été respectées :

  • « aucune information n’est fournie aux personnes dont l’image est capturée par les drones, que ce soit avant, pendant ou après la capture et l’exploitation des images » ;
  • « la conservation des données n’est limitée par aucune norme juridique à même d’en limiter la durée au strict nécessaire » ;
  • « Aucune norme spécifique ne limite les personnes pouvant accéder aux images capturées, qui peuvent ainsi potentiellement devenir accessibles à tout service de l’État. De même, l’absence d’encadrement juridique exprès prive de toute garantie le fait que ces données soient exploitées dans la finalité exclusive de faire respecter les règles de confinement ».

Dans sa décision du 5 mai 2020, le tribunal administratif relève qu’:

  • « Il résulte des pièces du dossier, en particulier des informations communiquées à un journal par le service de la communication de la préfecture de police, qu’à compter du 18 mars 2020, la préfecture de police a mis en œuvre un dispositif de surveillance aérien engageant des drones afin d’assurer le respect des mesures de confinement destinées à protéger la population de la transmission du coronavirus.
  •  Selon ces informations, les drones « sont pilotés par des fonctionnaires de police disposant des certifications professionnelles adéquates et d’une expérience conséquente. (…) Les images captées, qui sont transmises sur une tablette à disposition de l’autorité responsable du dispositif ou sur un poste fixe dédié, installé dans le centre de commandement de la direction en charge de la conduite des opérations, sont prises en utilisant un grand angle pour filmer des flux de circulation, des rassemblements, des zones urbaines ou rurales ou la progression de cortèges. Elles ne permettent donc pas l’identification d’un individu, sauf lorsqu’elles sont utilisées dans un cadre judiciaire que ce soit en flagrance, en préliminaire ou au titre d’une instruction (…) Dès la fin de la mission, les images sont supprimées de la carte mémoire. Elles ne font l’objet d’aucun recoupement avec des fichiers de police (…) ».
  • Par conséquent, le tribunal en déduit alors qu’« il n’apparaît pas, dès lors, que la préfecture de police aurait porté une atteinte illégale aux libertés fondamentales que sont le droit à la vie privée et le droit à la protection des données personnelles, faute notamment que les traitements en cause aient été autorisés et organisés par un texte de droit interne » et déboute les associations de leurs demandes.

Les deux associations ont interjeté appel.

Le 18 mai 2020, le Conseil d’Etat a infirmé la décision du Tribunal administratif de Paris et a fait droit aux demandes des associations en les termes suivants :

–  « Conformément aux motifs de la présente ordonnance, il est enjoint à l’Etat de cesser, sans délai, de procéder aux mesures de surveillance par drone, du respect, à Paris, des règles de sécurité sanitaire applicables à la période de déconfinement. »

Pour motiver sa décision, le Conseil d’Etat relève que :

  • « Alors même qu’il est soutenu que les données collectées par les drones utilisés par la préfecture de police ne revêtent pas un caractère personnel (…) , il résulte de l’instruction que les appareils en cause qui sont dotés d’un zoom optique et qui peuvent voler à une distance inférieure à celle fixée par la note du 14 mai 2020 sont susceptibles de collecter des données identifiantes et ne comportent aucun dispositif technique de nature à éviter, dans tous les cas, que les informations collectées puissent conduire, au bénéfice d’un autre usage que celui actuellement pratiqué, à rendre les personnes auxquelles elles se rapportent identifiables. Dans ces conditions, les données susceptibles d’être collectées par le traitement litigieux doivent être regardées comme revêtant un caractère personnel [au sens de la directive du 27 avril 2016,Directive Police-Justice].»
  • le Conseil d’Etat en déduit alors que «le dispositif litigieux constitue un traitement de données à caractère personnel qui relève du champ d’application de la directive du 27 avril 2016. Ce traitement, qui est mis en œuvre pour le compte de l’Etat, relève dès lors des dispositions de la loi du 6 janvier 1978 [modifiée] (…) parmi lesquelles l’article 31 impose une autorisation par arrêté du ou des ministres compétents ou par décret, selon les cas, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). »
  • «Compte tenu des risques d’un usage contraire aux règles de protection des données personnelles qu’elle comporte, la mise en œuvre, pour le compte de l’Etat, de ce traitement de données à caractère personnel sans l’intervention préalable d’un texte réglementaire en autorisant la création et en fixant les modalités d’utilisation devant obligatoirement être respectées ainsi que les garanties dont il doit être entouré caractérise une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée»

Enfin, le Conseil d’Etat précise que cette interdiction perdurera :

  •  « tant qu’il n’aura pas été remédié à l’atteinte caractérisée au point précédent, soit par l’intervention d’un texte réglementaire, pris après avis de la CNIL, autorisant, dans le respect des dispositions de la loi du 6 janvier 1978 applicables aux traitements relevant du champ d’application de la directive du 27 avril 2016, la création d’un traitement de données à caractère personnel, soit en dotant les appareils utilisés par la préfecture de police de dispositifs techniques de nature à rendre impossible, quels que puissent en être les usages retenus, l’identification des personnes filmées»

 

Il est intéressant de noter que la mise en conformité de l’utilisation des drones s’effectuera soit par une adaptation règlementaire soit par une adaptation technique.

Reste à connaître si cette utilisation inédite à vocation à se pérenniser.

La CNIL, par un communiqué, a indiqué qu’elle « prendra position sur cette question à l’issue des procédures de contrôle en cours. »

Rappelons qu’en France, l’utilisation des drones est très encadrée[1] dans le secteur privé comme public. Le non-respect de ces règles peut être sanctionné pénalement[2].

Il n’est pas impossible d’imaginer que l’utilisation des drones dans de nombreux secteurs privés ou publics va s’amplifier. La conformité légale de l’utilisation du drone notamment en termes de cybersécurité, des actions effectuées et des données ainsi collectées sont des enjeux de taille qu’il convient d’anticiper et de cadrer pour sécuriser l’usage de cet outil.

Marine Hardy, Avocat responsable des pôles innovations et sécurité

& Claudia Weber, Avocat associé | ITLAW Avocats | contact@itlaw.fr

 

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[1] Code des transports : article L6111-1 (Immatriculation du drone), articles L6214-1 à L6214-3 (Règles de circulation des drones), articles L6232-2 et L6232-3 (Sanctions pénales (violation des règles de circulation)

Arrêté du 17 décembre 2015 relatif à l’utilisation de l’espace aérien par les drones 

Arrêté du 17 décembre 2015 relatif à la conception des drones, aux conditions de leur emploi et aux capacités requises des pilotes 

Arrêté du 27 octobre 2017 fixant la liste des zones interdites à la prise de vue aérienne

Décret n°2018-882 du 11 octobre 2018 relatif à l’enregistrement des aéronefs civils circulant sans personne à bord 

Arrêté du 12 octobre 2018 relatif à la formation exigée des télépilotes qui utilisent des aéronefs civils circulant sans personne à bord à des fins de loisir 

Décret n°2019-348 du 19 avril 2019 relatif à la notice d’information relative à l’usage des aéronefs circulant sans personne à bord 

Arrêté du 19 avril 2019 relatif au contenu de la notice d’information fournie avec les emballages des aéronefs civils circulant sans personne à bord et de leurs pièces détachées 

[2]  Code pénal : articles 226-1 à 226-7 

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