La compétence judiciaire en matière de contrefaçon sur internet
31 août 2015.
Une photographe, auteur d’œuvres photographiques présentant les travaux d’un architecte, avait laissé à ce dernier l’autorisation d’utiliser lesdites photographies dans le cadre d’un colloque. Or la photographe a, par la suite, découvert que l’entreprise qui avait organisé ce colloque, et qui se trouve en Allemagne, rendait disponible à la consultation et au téléchargement ces photographie sur son site internet (en « .de ») sans donner d’indication relative au droit d’auteur.
Elle a donc assigné l’entreprise devant une juridiction autrichienne (le Handelsgericht Wien) à lui payer la somme de 4.050€ de dommages et intérêts, considérant que l’entreprise violait ses droits d’auteur. Elle invoquait, à ce titre, l’article 5, point 3, du Règlement n°44/2001 qui précise que :
« Une personne domiciliée sur le territoire d’un Etat membre peut être attraite, dans un autre Etat membre (3) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire. »
Or, la défenderesse a soulevé l’exception d’incompétence internationale et territoriale du tribunal autrichien soutenant que son site internet n’était pas destiné à l’Autriche et que la simple faculté de le consulter depuis cet Etat membre était insuffisante pour attribuer la compétence à ladite juridiction.
Le Handelsgericht Wien a décidé de surseoir à statuer de poser à la CJUE la question préjudicielle suivante :
« L’article 5, point 3, du règlement [n° 44/2001] doit-il être interprété en ce sens que, dans un litige portant sur la violation de droits voisins du droit d’auteur, commise en rendant une photographie accessible à la consultation sur un site Internet, celui-ci étant exploité sous le domaine de premier niveau d’un État membre autre que celui dans lequel le titulaire du droit possède son domicile, il n’existe de compétence que :
– dans l’État membre dans lequel l’auteur supposé de la violation a son siège ainsi que
– dans le ou les État(s) membre(s) au(x)quel(s) le site Internet est destiné, de par son contenu ? »
La Cour rappelle, dans cet arrêt en date du 22 janvier 2015, que l’expression « lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire » vise à la fois le lieu de la matérialisation du dommage et le lieu de l’événement causal qui est à l’origine de ce dommage. Elle va donc vérifier que le tribunal saisi répond à l’une ou l’autre de ces qualifications.
Elle va ainsi relever que la juridiction autrichienne ne répond pas à la qualification relative à l’événement causal puisque celui-ci s’entend du processus technique d’affichage des photographies et qu’il a eu lieu en Allemagne, au lieu du siège social de l’entreprise.
Cependant, concernant le lieu de matérialisation du dommage, il ressort que les droits dont se prévaut la photographe sont protégés en Autriche. De plus, pour la Cour, peu importe que le site en cause ne soit pas « dirigé vers » l’Etat membre de la juridiction saisie (puisqu’il s’agissait en l’espèce d’un site en « .de ») puisque la matérialisation du dommage et/ou le risque de cette matérialisation découlent de l’accessibilité, dans l’Etat membre dont relève la juridiction saisie, des photographies auxquelles s’attachent les droits dont la photographe se prévaut.
En conséquence, la juridiction autrichienne est bien compétente dès lors que les photographies sont accessibles en Autriche. En effet, le dommage est alors matérialisé en Autriche, peu importe que le site internet sur lequel sont stockées les photographies ne soit pas dirigé vers l’Autriche.
La CJUE pose néanmoins une limite en relevant que la juridiction autrichienne n’est compétente que pour connaître du seul dommage causé en Autriche.
La Cour confirme ici sa jurisprudence du 3 octobre 2013 (aff. C.170-12, Peter Pinckney c/ KDG Mediatech AG) et consacre encore une fois la théorie de l’accessibilité en matière de contrefaçon.
Cette théorie permet de faciliter la saisine d’une juridiction par les titulaires de droits.
Claudia WEBER, Avocat Associé et Claire Vinh San, juriste
ITLAW Avocats
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