L’impression 3D ou fabrication additive est une technologie arrivée à maturité comme en témoigne une étude de l’Office européen des brevets diffusée en septembre 2023. Selon cette étude, le nombre de familles de brevet internationales relatives aux technologies d’impression 3D a augmenté entre 2013 et 2020 à un taux annuel moyen de 26,3 % contre une progression de 3,3 % pour l’ensemble des autres technologies, pour atteindre 8 090 pour l’année 2020. Les technologies d’impression 3D sont de plus en plus variées, notamment en ce qui concerne les matériaux utilisés pour l’impression, et répondent ainsi à un panel de besoins de plus en plus large, de la fabrication d’une fusée à la création de tissus vivants à partir de cellules organiques. Mais cette maturité technologique est-elle doublée d’une maturité juridique ?

Pour s’en tenir aux droits d’auteur, l’impression 3D a fait l’objet de multiples analyses sur l’adéquation du système juridique aux spécificités de cette technologie comme le rapport du CSPLA de juin 2016 sur « l’impression 3D et le droit d’auteur » ou la Résolution du Parlement européen du 3 juillet 2018. Le droit positif n’a toutefois pas été modifié, tant en France qu’au niveau européen. Notamment, la Directive (UE) 2019/790 du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique n’a pas abordé cette question. Les acteurs de la chaîne de valeur de l’impression 3D doivent donc porter une attention particulière aux problèmes restés en suspens et recourir au contrat pour pallier les insuffisances du droit actuel. Le présent article présente les principaux points d’attention concernant cette question aux stades de la modélisation de l’objet et de son impression.

Bref rappel sur la technique d’impression

Quelle que soit la technologie d’impression 3D en jeu, deux étapes sont nécessaires pour aboutir à l’impression d’un objet en trois dimensions. Il faut tout d’abord créer un fichier source reproduisant sous une forme numérique l’objet à imprimer, soit en scannant en 3D l’objet, soit en créant cet objet au moyen d’un logiciel de conception assistée par ordinateur (CAO). Il faut ensuite procéder à l’impression au moyen d’une imprimante 3D qui exécutera les instructions provenant du fichier source, en ajoutant ou agglomérant de la matière couche par couche pour matérialiser l’objet modélisé.

Le droit d’auteur au stade de la modélisation

S’agissant de la réalisation d’un fichier source à partir d’un objet existant au moyen d’un scanner 3D, il est incontestable qu’il s’agit d’une reproduction au sens du droit d’auteur. Si cet objet est protégé par le droit d’auteur en raison de son originalité, sa reproduction devra être autorisée par le titulaire des droits. À défaut, le titulaire des droits pourrait poursuivre les personnes concernées pour contrefaçon. Il est donc nécessaire de définir dans un contrat les droits consentis par le propriétaire des droits sur l’objet : autorisation de reproduction sous forme numérique, éventuellement de modification ou d’adaptation, autorisation de reproduction par une technologie d’impression 3D, rémunération, reddition de comptes et contrôle des impressions. Si l’objet est une œuvre d’art, il conviendra également de prévoir l’insertion dans le fichier de numérisation et sur les copies physiques la mention « reproduction » et de veiller au respect de la loi sur la fraude artistique. Bien sûr, si la reproduction satisfait aux conditions d’une exception au droit de reproduction, l’autorisation ne sera pas nécessaire. À cet égard, la loi « climat et résilience » du 22 août 2021 est venue apporter une exception au droit des titulaires de droits de dessins et modèles et de droits d’auteur sur certaines pièces détachées automobiles, afin de favoriser la réparabilité et de ménager l’environnement. L’impression 3D d’une pièce détachée d’un véhicule automobile sans autorisation préalable du titulaire des droits est donc désormais possible, dans certains cas de figure.
La question de savoir si la réalisation d’un fichier source au moyen d’un scan 3D est susceptible de générer des droits d’auteur pour la personne qui procède à cette réalisation reste ouverte. Dans la mesure où cette personne effectue divers choix dans la numérisation de l’objet, cette liberté de choix pourrait conduire à la reconnaissance d’un droit d’auteur, comme cela est parfois le cas en matière de photographies d’une œuvre d’art ou en matière d’images satellites résultant de la mise en œuvre personnalisée d’une technologie complexe. Il conviendra donc de prévoir un contrat avec cette personne, qu’il s’agisse d’un salarié ou d’un prestataire extérieur, afin de définir le périmètre de la cession des droits.

S’agissant de la réalisation d’un fichier source au moyen d’un logiciel de CAO, la personne qui y procède peut se voir reconnaître la qualité d’auteur dès lors que l’objet créé numériquement présente un caractère d’originalité au sens du droit d’auteur. La solution ne fait pas de doute, le recours à un logiciel pour la création de l’objet ne faisant pas obstacle à la reconnaissance d’un droit d’auteur dès lors que l’opérateur a la maîtrise de la création, comme cela l’a déjà été jugé en matière de composition musicale assistée par ordinateur. Il en serait autrement si le fichier source était créé au moyen d’un outil d’intelligence artificielle puisque, en l’état du droit, seule une personne physique peut avoir la qualité d’auteur. Un contrat devra donc être conclu organisant la cession des droits de l’opérateur. Une attention particulière devra être portée à la clause de rémunération et de reddition des comptes. Celle-ci devra être conforme aux nouvelles exigences dans ce domaine apportées par la directive du 17 avril 2019 précitée et souvent ignorées.

Le droit d’auteur au stade de l’impression

Dès lors que l’objet contenu dans le fichier source est original, il est incontestable que l’impression en trois dimensions met en jeu le droit de reproduction appartenant à l’auteur de l’objet. La question peut se poser également de savoir si l’acte d’impression est susceptible de donner prise au droit d’auteur. A priori cela ne devrait pas être le cas pour la grande majorité des impressions puisque la finalité de l’impression 3D est de rester au plus près de l’image virtuelle contenue dans le fichier source.
La question principale qui reste irrésolue en matière d’impression 3D concerne l’exception de copie privée. « Les copies ou reproductions réalisées à partir d’une source licite et strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », à l’exception des copies des œuvres d’art, ne peuvent pas être interdites par le titulaire des droits sur l’œuvre reproduite. Selon la jurisprudence dominante française, la personne qui réalise la copie doit être la même que celle qui en bénéficie. Dès lors, lorsque l’impression est réalisée par un intermédiaire, comme un « Fab Lab » ou grâce à un service d’impression à distance, l’exception pour copie privée ne devrait pas pouvoir jouer, sauf à ce que la jurisprudence change ou que la notion de copiste soit précisée dans le code de la propriété intellectuelle. Surtout, le jeu de l’exception de copie privée a pour contrepartie le versement aux auteurs d’une rémunération équitable. Or la rémunération pour copie privée est à l’heure actuelle prévue uniquement pour les auteurs et artistes interprètes des œuvres fixées sur phonogrammes et vidéogrammes ainsi que pour leurs producteurs et, dans une moindre mesure, pour les auteurs et éditeurs des œuvres de l’écrit. En 2015, il avait été proposé d’étendre le bénéfice de la rémunération pour copie privée aux auteurs des œuvres reproduites par un procédé d’impression 3D. Cette proposition ayant été rejetée, l’application de cette exception à l’impression 3D reste incertaine. Raison de plus pour prévoir en amont une clause de cession adaptée avec l’auteur de l’objet.
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Une société ayant recours à l’impression 3D dans ses process de production doit porter une attention particulière à la situation juridique, notamment au regard du droit d’auteur, des objets devant être reproduits. La notion d’originalité, qui est la condition principale de la protection d’une œuvre par le droit d’auteur, étant une notion au contenu variable et subjectif, il est préférable de considérer a priori les objets concernés comme relevant du droit d’auteur et d’organiser contractuellement l’acquisition et la cession des droits dans le respect du code de la propriété intellectuelle. Au-delà de la seule question des droits d’auteur, il conviendra de prendre toutes les mesures destinées à protéger les fichiers source et à garantir leur sécurité matérielle et juridique. À cet égard, le recours au secret des affaires, tel qu’il est défini par les articles L. 151-1 et suivants du Code de commerce, et au droit des contrats pourra être particulièrement utile.

Article rédigé par  Jean-Christophe Ienné, Avocat directeur des pôles Propriété intellectuelle & industrielle, Médias & Audiovisuel et Internet

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