Récemment, la Cour de cassation a rappelé, par une décision du 17 Septembre 2013[1], qu’en cas de faute lourde le transporteur ne peut bénéficier de la limite légale de responsabilité.

 

  • Retour sur les faits ayant donné lieu à cette décision…

La société Orhand avait confié l’acheminement de pièces et matériel en inox d’une commune française jusqu’en Belgique, à la société Transports Lucas qui l’a ensuite confié à la société TLW Leclerc.

Au cours du transport, la semi-remorque-plateau a été dérobée avec les marchandises.

La société Orhand a donc assigné les sociétés Lucas et Leclerc ainsi que leurs assureurs respectifs afin d’obtenir des dommages-intérêts pour la réparation de son préjudice.

En première instance et en appel, les juges ont retenu la faute lourde des sociétés chargés du transport et les ont condamnées à verser à la société Orhand la somme principale de 38 600 euros.

Non satisfaite de cette réparation, la société Orhand a formé un pourvoi en cassation.

 

  • Bref rappel sur la responsabilité du transporteur

Il convient de rappeler qu’en la matière, par principe, le transporteur est responsable de la marchandise dès sa pris en charge et ce jusqu’à ce qu’elle soit livrée ; en effet le transporteur, tenu d’une obligation de résultat s’agissant de l’acheminement de la marchandise, voit sa responsabilité engagée du simple fait d’une perte ou avarie des marchandises transportées.

Néanmoins, outre certains cas d’exonération (notamment force majeure, vice de la marchandise), cette responsabilité du transporteur est limitée par la loi française et les conventions internationales, en particulier la Convention de Genève relative au transport routier de marchandises du 19 mai 1956, dite « CMR ».

Ainsi, la Convention CMR, limite l’indemnisation à 8,33 DTS (Droits de tirage spéciaux – unité monétaire internationale) par kilo de marchandises en matière de transport international, quel que soit le préjudice subi par le client.

A noter cependant que conformément à l’article 1150 du Code civil[2] la jurisprudence consacre, en matière de transport routier de marchandises, l’existence d’une « faute lourde » permettant d’écarter la limitation de responsabilité du transporteur.

C’est sur cette notion de faute lourde, reconnue en l’espèce tant par les juges de première instance que par les juges d’appel, que la demanderesse s’appuyait pour réclamer la réparation intégrale de son préjudice.

En effet, le montant de dommages-intérêts qui lui avait été alloué était basé sur le plafond prévu par la CMR, et ainsi calculé en fonction de l’indemnité prévue pour le poids des marchandises litigieuses.

 

  • Arguments soulevées par les sociétés Lucas et Leclerc

Les défenderesses invoquaient principalement les éléments suivants :

  • L’absence de précisions apportées par la société Orhand quant au volume et à la valeur des marchandises litigieuses transportées, et l’absence de justification d’un préjudice d’une valeur supérieure à l’indemnité calculée en fonction du poids des marchandises, en découlant.
  • La société Leclerc tentait également de s’exonérer en mettant en cause la validité du contrat de transport conclu avec la société Lucas en raison du fait que, n’ayant pas été informée de la nature des marchandises et des mesures spécifiques à prendre, elle n’avait pu en assurer l’exécution dans des conditions normales.

 

  • Décision de la Cour de cassation

La Cour de cassation a jugé sans plus d’explications « qu’en statuant ainsi, alors qu’elle constatait que le transporteur avait commis une faute lourde, laquelle prive celui-ci de la limitation de sa responsabilité qui ne peut servir à l’évaluation des préjudices subis, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; ».

De manière constante, la faute lourde suppose une négligence d’une extrême gravité confinant au dol et dénotant l’inaptitude du transporteur à l’accomplissement de sa mission[3].

L’article L 5422-14 du Code des transports dispose quant à  lui que :

« Le transporteur ne peut invoquer le bénéfice de la limitation de sa responsabilité dans les cas suivants :

1° S’il est prouvé que le dommage résulte de son fait ou de son omission personnels commis avec l’intention de provoquer un tel dommage, ou commis témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement ; ».

Il apparaît difficile, au regard de la jurisprudence, de définir de manière claire et cohérente la notion de faute lourde, celle-ci ayant par exemple refusé la qualification de faute lourde en cas d’impossibilité du transporteur de fournir des explications sur les faits à l’origine de la perte ou du retard de la marchandise transportée[4], mais l’ayant retenue pour un transporteur victime d’un accident de la route qui roulait à 60km/h au lieu des 50 km/h autorisés[5].

Quoiqu’il en soit, en l’espèce il semble que la circonstance que la semi-remorque-plateau ait été « non bâchée, désaccouplée du tracteur et stationnée sur la voie publique », suffise à qualifier la faute lourde du transporteur.

La conséquence est sans appel : le plafond de responsabilité du transporteur ne doit pas s’appliquer et le préjudice réel subi par la société Orhand doit donc être indemnisé.

S’agissant de la validité du contrat de transport remise en cause par la société Leclerc, les juges ont considéré qu’il découlait des circonstances de fait que le chauffeur avait participé au chargement des barres en inox et avait donc pu clairement identifier la marchandise dont la description figurait également dans la lettre de voiture.

 

En conséquence, la Cour a jugé « qu’ayant nécessairement constaté la valeur de la marchandise qui découlait de la matière même et des qualités transportées, elle ne peut prétendre que son consentement a été vicié soit par dol soit par défaut d’information sur la nature et la valeur de la marchandise transportée ni que sa mission était impossible dans des conditions normales ; que, de surcroît les voyages précédents effectués dans les mêmes conditions ont permis au transporteur de ne rien ignorer de ce qu’il transportait régulièrement ; que le contrat de transport n’est pas nul ».

 

En conclusion, gardez à l’esprit notamment que :

  • Le plafond, contractuel ou légal, de responsabilité est écarté en cas de faute lourde du transporteur ;
  • Il convient pour le demandeur de démontrer des faits précis susceptibles de constituer une faute lourde en matière de transport ;
  • La gravité de la faute du transporteur peut être appréciée différemment en matière de transport routier, aérien ou maritime.


[1] Cass. Com. 17 septembre 2013, 12-20.599

[2] « Le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n’est point par son dol que l’obligation n’est point exécutée. »

[3] Cour de cassation 28 juin 2005 n° 03-20744

[4] Notamment Cour de cassation 3 novembre 2009

[5] Cour de cassation 30 juin 2004 n° 03-11629

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