La signature d’un contrat écrit marque en général la fin des négociations et le cadre des accords intervenus entre les parties.

Pourtant, il arrive qu’un projet informatique débute, alors même que les pourparlers sont toujours en cours et que le contrat n’a pas encore été signé. Et les prestations continueront ainsi alors que le contrat sera tombé dans les oubliettes, jusqu’au jour où …

En cas de dérive du projet, le contrat s’applique-t-il ou pas ? Est-il possible d’exiger l’application des principes contenus dans ce contrat, alors qu’il n’est pas signé ?

Ce sont les questions auxquelles la Cour d’appel de Paris a répondu, dans un arrêt en date du 30 septembre 2022[1].

 

Que s’est-il passé ?

Dans l’optique d’optimiser l’approvisionnement et la gestion des stocks de ses points de vente, la célèbre enseigne de prêt-à-porter Camaïeu a réalisé un cahier des charges et a lancé un appel d’offres afin de trouver une solution informatique adaptée.

Un prestataire informatique, la société Sopra Steria Group, a répondu à cet appel d’offres.

Une lettre d’intention a été signée entre les parties, formalisant le souhait de Camaïeu de confier ce projet informatique à ce prestataire. Les négociations étant toujours en cours, les parties s’étaient accordées pour signer le contrat définitif quelques mois plus tard.

Le projet informatique, composé de 4 lots, a commencé, et le premier lot a été presque entièrement réalisé.

Mais …. le projet a rapidement rencontré des difficultés.

Le prestataire a estimé que Camaïeu ne respectait pas son obligation de collaboration, qui avait été mise en exergue dans le contrat non encore signé, comme un « élément indispensable au succès du projet ».

Pour le prestataire, le projet a été rendu impossible en raison de modifications incessantes des besoins de son client, qui ne correspondaient plus aux hypothèses de départ sur lesquelles reposait l’accord des parties.

Ainsi, se basant sur le contrat non signé, le Prestataire décide de mettre fin à leurs relations contractuelles.

De son côté, le Client a considéré que la rupture de leurs relations par le prestataire, était unilatérale et abusive.

Le tribunal de commerce de Paris a été saisi : il a validé les arguments du Prestataire et donc a débouté le Client de ses demandes de dommages et intérêts ; il a donc fait appel de la décision.

 

Qu’a décidé la Cour d’appel de Paris ?

La Cour d’appel de Paris rappelle tout d’abord deux éléments importants : les contrats tiennent lieu de loi entre les parties, mais aucun contrat n’a été signé entre le client et son prestataire informatique.

La Cour d’appel ne s’arrête pas là.

En effet, en droit français, les relations contractuelles sont régies par le principe du consensualisme : cela signifie qu’un contrat est formé par le seul échange des volontés. Aucun formalisme n’est demandé.

Par conséquent, l’écrit n’est pas nécessaire (sauf dans certaines hypothèses fixées par la loi). En d’autres termes : l’écrit n’est pas une condition de validité des accords intervenus même s’il est tout de même bien utile pour des raisons de preuve.

La question est donc de savoir quels sont les accords validés entre les parties ?

Ainsi, la Cour d’appel s’attèle à une analyse précise de l’objet de l’accord intervenu entre les parties, afin de vérifier leurs obligations respectives.

A cet effet, elle met en avant les points suivants :

  • Une lettre d’intention a été signée entre les parties ;
  • Le projet de contrat comportait des commentaires en marge, pouvant démontrer que les négociations étaient toujours en cours entre les parties. Toutefois :
    • Des échanges de mail illustraient la volonté des parties de chercher une date pour relire et finaliser le contrat ;
    • Un comité de pilotage mentionnait que « le contenu [du contrat] est maintenant partagé par les parties ».
  • Le contrat précisait le cadre général des opérations, les quatre lots du projet, le planning et les conditions financières ;
  • Le lot 1 a été presque entièrement réalisé par le prestataire et représentait le socle applicatif du projet ;
  • Les parties n’avaient pas envisagé que le contrat porte uniquement sur le lot 1 ;
  • Les échanges et les comités de pilotage attestent de la preuve de l’accord des parties sur la réalisation de l’ensemble du projet (donc des 4 lots), bien que le contrat n’ait pas été signé ;
  • Le prestataire avait fait connaître à plusieurs reprises de son intention de sortir des opérations, en raison de l’impossibilité de poursuivre le projet correctement.

La Cour termine ensuite sur le fait que la preuve d’un accord entre commerçants ne nécessite pas d’écrit.

Dès lors, en s’appuyant sur ce faisceau d’indices, la Cour d’appel en a conclu qu’un accord entre le Client et le prestataire informatique sur le projet existait bel et bien, concrétisé par le contrat non signé. Par conséquent, ce contrat devait être exécuté de bonne foi entre les parties et le prestataire pouvait donc se prévaloir de ce document non signé.

La Cour d’appel confirme donc le jugement du tribunal de commerce de Paris. Le prestataire a démontré le manque de collaboration de son client, rappelé dans le contrat non signé comme un élément indispensable de leur accord, ce qui a remis en cause la bonne exécution du projet informatique.

Alors peut-on dire …. Sésame ouvre-toi ? Ou plutôt contrat, applique-toi ?   Oui, dans les faits.

La Cour d’appel s’est appuyée sur le contexte du projet et les faits présentés à elle, afin de déterminer si le contrat non signé avait fait l’objet d’un accord entre les parties.

 

Finalement, quels sont les points à retenir ?

Cette jurisprudence est constante, le principe du consensualisme gouverne notre droit des contrats, aussi retenez que :

  • Soutenir l’absence d’accord uniquement sur le fait que le contrat n’a pas été signé, ne fonctionne pas.
  • L’écrit est pour autant très utile pour apporter la preuve des accords intervenus
  • Pour autant la preuve est libre entre commerçants, elle peut être apportée par tout moyen qui ne se limite pas à l’écrit.
  • L’anticipation est une démarche fondamentale pour éviter ce travail fastidieux de remonter tous les échanges intervenus pour démontrer que tel et tel point avait été accepté ou pas, sans oublier l’application de termes et conditions qui n’auraient pas été acceptées, telles que des CGV ou des CGA.

Dans l’hypothèse où le projet informatique débute avant la signature du contrat, nous recommandons de documentez largement et conservez les échanges, y compris les comptes rendus de comités, qui pourraient permettre de prouver le périmètre et les conditions de vos accords.

 

Claudia Weber, Avocat fondateur du Cabinet ITLAW Avocats et Zannirah Randera, avocat collaborateur ITLAW Avocats, avec l’aide de Prisca Petitot, juriste stagiaire | ITLAW Avocats

 

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[1] Arrêt de la Cour d’appel de paris, 30 septembre 2022, n°20/04.813

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