C’est dans le contexte de la campagne pour l’élection des députés au Parlement européen qu’une ordonnance de référé a rejeté la demande de suppression de contenus publiés en ligne, fondée sur le nouvel l’article L.163-2 du Code électoral.

Cette instance a été initiée par deux parlementaires, la députée européenne Marie-Pierre Vieu et le sénateur Pierre Ouzoulias, qui visaient un tweet diffusé par Christophe Castaner, en sa qualité de ministre de l’Intérieur, à propos de l’intrusion de manifestants dans un hôpital parisien à l’occasion du défilé du 1er mai : « Ici, à la Pitié-Salpêtrière, on a attaqué un hôpital. On a agressé son personnel soignant. Et on a blessé un policier mobilisé pour le protéger. Indéfectible soutien à nos forces de l’ordre : elles sont la fierté de la République. »

 

Première application du référé « fake news »

Les deux parlementaires se fondaient sur le nouvel article L.163-2 du Code électoral introduit par la loi n° 2018-1202 du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information.

Ce texte prévoit un nouveau référé qui permet de demander que soit ordonné à l’hébergeur de certains contenus en ligne, ou à défaut à un fournisseur d’accès, tel que définis par les 1 et 2 du I de l’article 6 de la loi n°575-2004 du 21 juin 2004, dite LCEN, de prendre les mesures proportionnées et nécessaires pour faire cesser leur diffusion.

Les contenus concernés sont « les allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d’un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir [qui] sont diffusées de manière délibérée, artificielle ou automatisée et massive par le biais d’un service de communication au public en ligne ».

La loi vise les publications qui interviennent au cours des trois mois qui précèdent le premier jour du mois d’élections générales et jusqu’à la date du jour du scrutin où celles-ci sont acquises.

Ce texte a fait l’objet de réserves d’interprétation par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 20 décembre 2018 selon lesquelles le caractère inexact et manifeste de l’allégation ou de l’imputation doit être manifeste, tout comme le risque d’altération de la sincérité du scrutin.

 

Un coup d’épée dans l’eau

L’ordonnance relève que si les propos sont exagérés, ils ne sont pas manifestement inexacts. De plus, à propos du risque d’altération de la sincérité du scrutin, la décision ne retient pas la thèse des demandeurs et constate au contraire que les propos poursuivis ont été immédiatement contestés dans la presse écrite ou internet de telle manière « que des versions différentes ont surgi, permettant ainsi à chaque électeur de se faire une opinion éclairée, sans risque manifeste de manipulation ».

Le juge retient encore qu’il n’est pas démontré que la diffusion des propos litigieux aurait été effectuée de manière massive, artificielle ou automatisée et délibérée et opérée sur un service de communication au public en ligne. A cet égard, le juge se réfère à l’exposé des motifs de la proposition de loi, pour lequel le « caractère artificiel ou automatisé de la diffusion renvoie, […] aux contenus sponsorisés par le paiement de tiers chargés d’étendre artificiellement la diffusion de l’information et aux contenus promus au moyen d’outils automatisés, par le recours à des « bots » » et constate qu’aucun élément n’étaye cet aspect caractéristique de la manipulation de l’information reflétée par une démarche organisée.

Pour le juge des référés, aucune des conditions d’application du nouveau texte n’était donc réunie. Il est vrai que ces conditions de mise en œuvre, notamment en raison des réserves d’interprétation posées par le Conseil constitutionnel, sont strictes et que les faits de l’espèce étaient somme toute éloignés de la raison d’être de ce nouveau texte.

 

Jean-Christophe Ienné, avocat, directeur des pôles Propriété Intellectuelle & Industrielle, Médias & Audiovisuel et Internet, et Mathieu Vincens

 

 

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