Par une décision du 21 juin dernier[1], un artiste-peintre dont l’œuvre avait été utilisée à des fins publicitaires sans son autorisation s’est vu accorder 3 500 € de dommages et intérêts par le Tribunal de Grande Instance de Paris.

 

  • Les faits :

Les époux Y, exploitants d’un commerce de charcuterie artisanale, ont acquis en janvier 2006 de leur ami, Monsieur G., un tableau représentant leurs oies dans un paysage de bruyère, pour un montant de 300 euros.

Ayant constaté que les époux Y utilisaient une reproduction de ce tableau sur leur site internet, leur véhicule utilitaire, la devanture de leur boutique, des panneaux publicitaires, des sacs de provision et des affichettes publicitaires, Monsieur G. a adressé deux mises en demeure à la société Labbé Simon, exploitée par les époux Y, de cesser l’utilisation de son œuvre, puis a assigné cette société devant le TGI de Paris.

 

  • Rappel théorique sur le droit d’auteur :

Une œuvre peut être protégée par le droit d’auteur à condition qu’elle soit originale, le critère d’originalité étant défini par une jurisprudence constante comme « l’empreinte de la personnalité de l’auteur ».

L’auteur d’une œuvre protégée dispose de deux types de prérogatives :

  –  Les droits patrimoniaux[2] permettant à l’auteur d’exploiter son œuvre et pouvant être cédés, notamment :

  • Le droit de reproduction permettant à l’auteur de maîtriser l’exploitation de son œuvre en autorisant ou interdisant sa copie ;
  • Le droit de représentation correspondant à l’autorisation donnée par l’auteur de communiquer son œuvre au public.

  –  Les droits moraux[3]qui ne peuvent être cédés et appartiennent donc toujours à l’auteur, notamment :

  • Le droit de divulgation : seul l’auteur a le droit de porter son œuvre à la connaissance du public.
  • Le droit de paternité correspondant au droit pour l’auteur d’une œuvre de se revendiquer comme tel. En pratique ce droit est respecté par l’indication du nom de l’auteur sur son œuvre, même s’il peut aussi décider d’utiliser un pseudonyme ou de diffuser son œuvre anonymement.
  • Le droit au respect de l’œuvre permettant à l’auteur de s’opposer à toute modification, déformation ou altération de son œuvre, qu’il s’agisse d’une atteinte à l’intégrité matérielle ou à l’esprit de son œuvre.

 

  • Arguments invoqués par les parties :

Au soutien de ses prétentions, Monsieur G. affirmait que :

  • son tableau constitue une œuvre originale, à ce titre protégeable par le droit d’auteur ;
  • aucun acte de cession des droits d’auteur n’a été conclu entre les parties lors de la vente du tableau litigieux ;
  • l’association de son tableau avec la « langouille brièronne », une recette à base de langue de porc commercialisée par la société Labbé Simon, porte atteinte à son droit moral, en particulier à son droit de divulgation et son droit au respect de l’œuvre.

 

Les époux Y quant à eux invoquaient le fait que :

  • Monsieur G. était parfaitement informé du fait que son tableau était devenu le signe distinctif de la société Labbé Simon, puisqu’il a été salarié de ladite entreprise en 2009 et 2010 ;
  • Monsieur G. ne s’est jamais opposé à l’utilisation faite de son œuvre, la cession de ses droits d’auteur devait donc être considérée comme étant intervenue tacitement et gratuitement ;
  • La motivation de Monsieur G à la présente action est uniquement liée à la rupture du contrat de travail de son épouse qui travaillait au sein de la société Labbé Simon ;
  • La société Labbé Simon a cessé toute utilisation du tableau litigieux depuis juillet 2011.

 

  • La décision du Tribunal de Grande Instance :

–  Sur l’atteinte aux droits patrimoniaux de Monsieur G.

Le Tribunal a fait application du principe bien connu en la matière posé par l’article L 131-3 du CPI selon lequel :

« La transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée. […]

Le bénéficiaire de la cession s’engage par ce contrat à rechercher une exploitation du droit cédé conformément aux usages de la profession et à verser à l’auteur, en cas d’adaptation, une rémunération proportionnelle aux recettes perçues. »

 

Ainsi, pour être valable, une cession de droit d’auteur ne peut être tacite et doit préciser concernant chacun des droits cédés :

  • les types de droits cédés : reproduction, diffusion, adaptation, traduction, distribution…,
  • l’étendue, c’est-à-dire le type de diffusion (presse, internet,…),
  • la destination, c’est-à-dire l’usage pour lequel les droits sont cédés : à titre publicitaire par exemple,
  • le lieu d’exploitation (territoire géographique),
  • la durée, qui doit être déterminée mais peut correspondre à la durée de protection légale des droits d’auteur.

 

Le Tribunal a ainsi rappelé que :

  • « Les droits patrimoniaux peuvent être cédés partiellement ou totalement, à titre gratuit ou onéreux. Il appartient néanmoins à celui qui s’en prétend cessionnaire d’en rapporter la preuve et l’étendue, l’article L131-3 du code de la propriété intellectuelle exigeant que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue, sa destination, son lieu et sa durée. » ;
  • « il ne peut néanmoins être déduit de cette simple tolérance ponctuelle [de Monsieur G.] avérée une cession tacite et sans limite de ses droits patrimoniaux d’auteur, laquelle n’est établie par aucun autre élément produit par la défenderesse ».

 

En conséquence, le Tribunal a jugé que la société Labbé Simon n’était pas titulaire des droits d’auteur sur le tableau dans la mesure où la cession de son support matériel n’emportait pas la cession desdits droits. La société a donc porté atteinte aux droits patrimoniaux de Monsieur G. en reproduisant de manière illicite l’œuvre sans son autorisation à des fins publicitaires.

 

  –  Sur l’atteinte au droit moral de Monsieur G.

Les juges ont refusé l’atteinte au droit de divulgation de Monsieur G. qui a lui-même, en cédant le tableau aux époux Y, communiqué son œuvre au public.

En revanche, ils ont reconnu  l’atteinte au droit au respect de l’œuvre de Monsieur G. en raison de :

  • la modification et déformation du tableau dans le cadre de sa reproduction par la société Labbé Simon sur les divers supports publicitaires précités ;
  • l’association dudit tableau au commerce de spécialités charcutières n’ayant aucun rapport avec l’art pictural ni le sujet du tableau.

 

Le Tribunal a donc condamné la société Labbé Simon à verser à Monsieur G. la somme de 3500 euros en réparation du préjudice matériel et moral consécutif à la contrefaçon, et a ordonné le retrait de l’œuvre du site internet de la société Labbé Simon ainsi que la destruction des supports publicitaires contrefaisants.

 

Pour rappel, concernant l’évaluation des dommages et intérêts en cas de contrefaçon de droit d’auteur, la loi[4] prévoit que le juge prendra en considération :

  • les conséquences économiques négatives subies par la partie lésée, dont le manque à gagner,
  • les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits, et
  • le préjudice moral causé au titulaire de ce droit.

 

De manière alternative, il peut être alloué à la partie lésée une somme forfaitaire ne pouvant être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l’autorisation à l’auteur d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte.

 

En l’espèce, pour évaluer le montant des dommages et intérêts fixés,  les juges ont pris en compte :

  • le nombre important de supports publicitaires concernés,
  • la durée de l’usage litigieux (2007 à 2011),
  • la tolérance de cet usage par Monsieur G. pendant plusieurs années.

 

En conclusion, nous vous recommandons :

  • de prévoir systématiquement et quelles que soient les circonstances une clause de cession des droits d’auteur conforme au formalisme imposé par le Code de la propriété intellectuelle en cas d’acquisition d’une œuvre protégeable à ce titre ;
  • de vous assurer de ne pas porter atteinte au droit moral de l’auteur (notamment intégrité matérielle ou esprit de l’œuvre) même en présence d’un acte de cession des droits d’auteur valide puisque la cession des droits moraux est impossible en droit francais;
  • si vous êtes titulaire de droits d’auteur sur une œuvre : réagir immédiatement en cas d’exploitation non autorisée de celle-ci afin que votre tolérance ne puisse pas ultérieurement jouer en votre défaveur.
 

Claudia WEBER, Avocat Associée

Viola MOREL, Avocat

ITLAW Avocats

www.itlaw.fr



[1] TGI Paris, 3e chambre Jean G. / Labbé Simon

[2] Articles L 122-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle (CPI)

[3] Article L 121-1 du CPI

[4] Article L 331-1-3 du CPI

Nous contacter