Le TGI de Paris a prononcé, le 28 juin dernier, la nullité de dessins et modèles d’étuis de smartphones sur la base d’un constat d’huissier de vidéos en ligne.

 

A l’origine de cette décision : une lettre de mise en demeure reçue le 12 septembre 2012 par M. X – exerçant l’activité de vente d’étuis, housses et coques de téléphones portables sur des plateformes de vente en ligne sur internet – lui demandant de cesser la vente de ses produits.

M. Y, à l’origine de cette mise en demeure, lui reprochait en effet des actes de contrefaçon de dessins et modèles.

Par la suite, M. X a reçu notification de la fermeture de son compte sur la plateforme en ligne amazon.fr en raison de la réclamation déposée par M. Y auprès de la société pour violation de ses droits de propriété intellectuelle.

M. X a ainsi fait assigner M. Y afin d’obtenir, notamment, la nullité des dessins & modèles litigieux et la réouverture de son compte Amazon. 

 

  • Les arguments invoqués par les parties étaient les suivants :

–          M. X soutient qu’avant le dépôt des dessins et modèles litigieux par M. Y, de nombreuses coques de téléphones portables étaient commercialisées en France et produit à cette fin un constat d’huissier du 21 décembre 2012 apportant la preuve de la divulgation de produits similaires, dans des vidéos mises en ligne sur internet antérieurement à l’enregistrement à l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) des dessins et modèles de M.Y ; 

–          M. Y conteste les dates de mise en ligne des produits visés dans le constat d’huissier arguant du fait que les dates de mise en ligne desdites vidéos peuvent être modifiées à tout moment par celui qui les publie ;

–          M.Y considère également qu’en tout état de cause, le contenu du constat n’apporte aucune antériorité de toute pièce divulguant ses dessins et modèles dans la mesure où « aucune des photographies représentées ne reproduisent […] l’ensemble des caractéristiques. ».

 

  • La décision du TGI :

Sur la protection par le droit des dessins et modèles :

Pour rappel, une création peut faire l’objet d’une protection par le droit des dessins et modèles si elle réunit deux conditions :

–          la nouveauté : aucun dessin ou modèle identique ne doit avoir été divulgué avant la date de dépôt de ladite création

–          le caractère propre[1] : la création doit susciter chez l’observateur averti une impression visuelle d’ensemble différente de celle produite par tout dessin ou modèle existant[2].

En l’espèce, les juges ont considéré que :

–          le constat d’huissier respectait tous les pré-requis en la matière (notamment, date des faits, mention des actions de sécurité préalablement effectuées…) et avait donc force probante ;

–          M. Y n’apporte aucune preuve sérieuse permettant de penser que les auteurs des vidéos constatées aient pu modifier leurs dates de mises en ligne.

Alors que  – la décision le rappelle – « il appartient […] à celui qui conteste la force probante d’une pièce versée aux débats […] de produire des éléments permettant de douter de la fiabilité d’une telle preuve » ;

–          les coques de téléphones divulguées plus d’un an avant l’enregistrement des dessins et modèles litigieux à l’INPI comportent des caractéristiques identiques à ces derniers et l’impression visuelle d’ensemble qu’ils suscitent n’est pas différente de celle des antériorités.

M.Y ne pourrait donc même pas invoquer les dispositions du Code de la propriété intellectuelle[3] permettant de ne pas tenir compte, dans certaines conditions, d’une divulgation des dessins et modèles ayant lieu dans les douze mois précédant la date du dépôt.

Le Tribunal en a déduit que les dessins et modèles déposés par M. Y ne présentent pas un caractère propre et ne remplissent pas les conditions pour être éligibles à la protection au titre des dessins et modèles.

Par conséquent, les juges ont prononcé la nullité des dessins et modèles de M.Y.

 

Sur la protection par le droit d’auteur :

Les juges se sont également prononcés sur le fondement de la protection par le droit d’auteur, accessible sous réserve d’originalité des créations, laquelle est définie par une jurisprudence constante comme « l’empreinte de la personnalité de l’auteur ».

A cet égard, le Tribunal a estimé que M. Y, se contentant de mettre en avant le caractère indéniablement original de ses créations par la présence de « caractéristiques ornementales et esthétiques » et l’ « accumulation de formes artistiques », n’en démontre pas pour autant leur originalité.

Les juges ont ainsi refusé aux dessins et modèles de M.Y la protection par le droit d’auteur.

 

Sur la responsabilité de M. Y :

Outre la nullité des dessins et modèles invoqués et l’absence de protection desdits dessins et modèles par le droit d’auteur, M. X sollicitait la mise en jeu de la responsabilité de M. Y en raison de la réclamation adressée à Amazon ayant entrainé la fermeture de son compte sur la plateforme en ligne.

Sur ce point, le Tribunal a jugé que M. Y, titulaire de droits sur les dessins et modèles, a pu légitimement croire à une violation de ses droits de propriété intellectuelle et a simplement mis en œuvre la procédure de retrait de contenus illicites prévue par la plateforme dans un tel cas.

Les juges ont ainsi rejeté les demandes d’indemnisation de M. X sur ce fondement.

 

 

En conclusion, nous vous recommandons :

–          de toujours faire constater par huissier les preuves en ligne dont vous disposez dans le cadre d’un litige ;

–          de vous assurer que ce constat d’huissier est réalisé en bonne et due forme et notamment que sont mentionnées toutes les actions de sécurité devant être effectuées au préalable (mode de connexion internet, vidage de la mémoire cache et de l’historique de navigation etc…) ;

–          si vous êtes l’auteur de créations susceptibles d’être protégées par un droit de propriété intellectuelle :

  • vérifier que celles-ci remplissent les critères requis pour bénéficier de la protection légale (nouveauté et caractère propre pour le droit des dessins et modèles),
  • apporter tous les éléments démontrant l’originalité et l’empreinte de votre personnalité dans la réalisation de ces créations afin de pouvoir bénéficier de la protection du droit d’auteur.
 

Claudia Weber, Avocat associé et Viola Morel, Avocat collaborateur

ITLAW Avocats

 



[1] Article L 511-2 du Code de la propriété intellectuelle

[2] Article L 511-3 du Code de la propriété intellectuelle

[3] Article L 511-6 du Code de la propriété intellectuelle

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