L’introduction de l’intelligence artificielle générative transforme profondément le monde du travail. Souvent considérée comme une question purement technique, elle reste encore trop peu débattue au sein des instances sociales.

C’est dans ce contexte que le 14 février 2025, le Tribunal judiciaire de Nanterre réaffirme l’obligation de consulter le Comité social et économique (CSE) avant tout déploiement d’outils d’IA dans l’entreprise. Cette décision s’inscrit dans un contexte réglementaire en constante évolution, où les institutions européennes et nationales cherchent à renforcer la protection des salariés face aux transformations numériques.

Que s’est il passé ?

La direction d’une entreprise du secteur des assurances et de la prévoyance avait, dès le mois de janvier 2024, initié le déploiement de trois outils d’IA à destination de ses salariés. A plusieurs reprises, le CSE avait demandé à être consulté sur l’introduction de ces outils. La consultation du CSE n’a formellement débuté qu’en septembre 2024, tandis que les outils d’IA étaient utilisés depuis plusieurs mois en « phase pilote » par l’ensemble des salariés concernés. Face au refus de la direction de transmettre les documents jugés nécessaires par le CSE et de suspendre le projet dans l’attente de la clôture de la consultation, le comité a engagé une action en justice en référé afin d’obtenir la suspension du déploiement et la communication des informations essentielles à son analyse.

Le CSE a notamment demandé :

· La suspension du déploiement des outils d’IA jusqu’à la fin de la consultation, sous astreinte ;

· L’allocation de dommages et intérêts en réparation de l’atteinte à ses prérogatives.

La consultation du CSE, un préalable incontournable au déploiement d’outils d’IA

Le Code du travail impose aux entreprises dont l’effectif est d’au moins 50 salariés de consulter le CSE lorsqu’un projet modifie de manière significative les conditions de travail. L’article L.2312-15 du Code du travail prévoit ainsi les modalités de la consultation obligatoire, pour garantir que les représentants des salariés soient suffisamment informés et disposent du temps nécessaire pour rendre un avis éclairé sur les conséquences des projets envisagés.

En l’espèce, l’accès à des outils d’intelligence artificielle modifie indéniablement les conditions de travail des salariés. Par ailleurs, si l’IA peut alléger la charge de travail sur certaines missions

répétitives, elle nécessite en parallèle une adaptation et une formation spécifique à l’usage de ces nouveaux outils.

Le respect de cette obligation est donc incontournable : à défaut, l’employeur s’expose à un contentieux pouvant aller jusqu’à la suspension du projet et à des dommages et intérêts, comme l’illustre l’ordonnance de référé rendue le 14 février 2025 par le Tribunal judiciaire de Nanterre.

Le juge des référés suspend le projet IA pour violation des droits du CSE

Le juge des référés du Tribunal judiciaire de Nanterre a ainsi fait droit aux demandes du CSE et a considéré que la mise en place des outils d’IA, même s’ils sont déployés pour une phase pilote, constituait effectivement une première mise en œuvre du projet et n’était pas une simple expérimentation. L’absence de consultation préalable du CSE constituait bien une entrave à ses prérogatives et un trouble manifestement illicite.

Le tribunal a donc prononcé la suspension immédiate du déploiement des outils informatiques sous astreinte, jusqu’à l’achèvement de la consultation du CSE. L’employeur a également été condamné à verser 5000 euros de dommages et intérêts provisionnels au CSE en réparation du préjudice subi, et au paiement des frais de justice.

Garantir une introduction réussie de l’IA en entreprise : obligations et enjeux

L’ordonnance rendue par le juge des référés rappelle l’importance pour les entreprises de respecter certaines étapes avant de déployer des outils d’intelligence artificielle. En particulier :

· La consultation du CSE en amont. L’introduction d’intelligence artificielle modifiant les conditions de travail requiert une information et une consultation préalable des délégués du personnel.

· La transparence et communication. L’employeur doit veiller à fournir au CSE tous les documents nécessaires à l’évaluation des impacts du projet envisagé.

· La prise en compte du risque de suspension. En l’absence de consultation régulière du CSE, le déploiement d’outils d’IA risque d’être suspendu, engendrant des coûts pour l’entreprise (licences déjà payées, contrats de prestation en cours, perte de compétitivité…).

La charte IA, étape clef pour maîtriser l’usage de l’intelligence artificielle en entreprise

Par ailleurs, l’introduction d’outils d’intelligence artificielle en entreprise ne peut se faire sans un cadre clair prédéfini. Chez ITLAW Avocats, nous préconisons à nos clients l’élaboration d’une charte spécifique pour structurer et fixer les règles d’usage des IA par les salariés. Ces

règles doivent être adaptées aux besoins de l’entreprise et poser un cadre conforme aux impératifs de confidentialité et aux obligations légales (notamment en matière de propriété intellectuelle, de RGPD et de secret des affaires). Enfin, elle est souvent l’occasion de sensibiliser les salariés à ces outils innovants en leur donnant des repères concrets sur les bénéfices que l’IA peut apporter, mais aussi sur les risques que comporte son utilisation, notamment lorsqu’ils sont utilisés pour des livrables ou des produits destinés à des clients.

 

Que faut il retenir ?

L’introduction de l’intelligence artificielle en entreprise va au-delà du simple enjeu technologique : elle soulève des questions essentielles en matière de gouvernance et de dialogue social.

Les normes, à la fois européennes (avec l’IA Act) et nationales, renforcent les exigences à l’égard des entreprises, en les incitant à mener une réflexion approfondie sur les impacts organisationnels, sociaux et éthiques de l’usage de l’IA. Et le CSE a un rôle important à jouer dans cette démarche, car il veille à ce que ces transformations se déroulent dans le respect des droits des salariés.

Nos recommandations :

– Respecter les règles en matière de droit social et notamment consulter le CSE si votre entreprise y est soumise

– Anticiper cette étape dans la réflexion du projet car il peut impacter le planning de votre projet,

– Prévoir une charte sur l’utilisation des outils d’IA pour structurer et définir les règles de l’usage de l’IA par vos salariés,

– Intégrer des clauses spécifiques dans vos contrats IT

– Négocier vos contrats avec vos partenaires pour sécuriser l’intégration de cet outil dans l’usage de l’IA par vos salariés, surtout s’il a un impact client !

 

Claudia Weber, Avocat fondateur du Cabinet ITLAW Avocats et Pauline Almeras, avocate collaboratrice, ITLAW Avocats.

 

Et vous ? Où en êtes-vous ?

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