Par ordonnance du 4 avril dernier, le juge des référés du TGI de Paris a jugé que l’hébergeur n’est pas tenu d’apprécier le caractère diffamatoire d’un contenu en ligne dont la suppression lui a été demandée.

 

 

  • Rappel sur le régime de responsabilité applicable aux hébergeurs issu de l’article 6 de la LCEN[1]

Aux termes de cet article, la responsabilité de l’hébergeur au titre des contenus hébergés ne peut être engagée que s’il est établi qu’il avait « effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère » ou si, dès le moment où l’hébergeur a eu connaissance de ce caractère manifestement illicite, il n’a pas « agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible ».

La loi a prévu la mise en place d’une procédure de notification de contenu illicite sur internet à l’issue de laquelle l’hébergeur est présumé avoir eu connaissance du caractère illicite du contenu.

 

  • Les faits de l’espèce

A l’origine de la décision qui nous intéresse, des photos et vidéos diffusées sur youtube.com et google.com associant l’enseigne de mode vestimentaire H&M à des images de sang, aux termes “Haine et mort, Harcèlement et mort, valeur de la vie d’une femme et combien de vies pour un vêtement ?” et reproduisant sa marque. La société H&M, considérant que ces contenus étaient diffamatoires et constituaient une contrefaçon de sa marque, en a immédiatement demandé la suppression aux sociétés Google et You tube.

Ces dernières, considérant que les contenus n’étaient pas manifestement illicites, ont refusé de supprimer les contenus litigieux.

La société H&M les a donc fait assigner en référé.

 

  • Concernant la contrefaçon de marque

Le juge des référés a considéré que s’il peut apprécier la vraisemblance d’une atteinte aux droits de la marque, seul le juge du fond peut en déterminer l’existence.

En l’espèce, selon le juge, la contrefaçon de marque alléguée n’apparaît pas vraisemblable dans la mesure où l’usage qui est fait de la marque n’est pas un usage dans la vie des affaires, condition nécessaire à la caractérisation de la contrefaçon.

En effet, le juge indique que « le signe reproduit sur leurs sites internet ne vise pas plus à désigner qu’à promouvoir un produit qui serait offert à la vente, mais seulement à informer l’internaute du comportement éventuel de la société titulaire de la marque en question, de sorte qu’il n’a pas pour but de renseigner le consommateur sur la nature ou l’origine d’un produit […] ». 

Tel est le cas lorsque la marque est utilisée dans un but parodique ou polémique, comme dans les affaires « jeboycottedanone.com »[2] ou encore Greenpeace contre Areva[3] et contre Esso[4], dans lesquelles l’application du droit des marques avait été écartée, faute d’un usage dans la vie des affaires.

 

  • Concernant le caractère diffamatoire des contenus

Le juge indique que cela « suppose une analyse des circonstances ayant présidé à leur diffusion, laquelle échappe par principe à celui qui n’est qu’un intermédiaire technique. »

Ainsi, le seul fait de cette diffusion ou du maintien en ligne des contenus par l’hébergeur ne constitue pas une faute, d’autant plus que, précise le juge, diffamation n’égale pas forcément trouble manifestement illicite.

Sur le caractère diffamatoire des contenus litigieux, le juge a considéré qu’il « […] ne peut être discuté au stade du référé, en l’absence de leur auteur qui seul serait à même de donner toutes explications et d’apporter le cas échéant toutes preuves utiles. »

En l’espèce, « dans un souci d’apaisement », le juge a tout de même ordonné à Youtube et Google de supprimer lesdits contenus litigieux dans la mesure où ils seraient de nature à causer un préjudice à H&M et que leurs auteurs n’ont pas été identifiés et  ne se sont pas expliqués.

 

Cette décision est en cohérence avec la précision qu’avait apportée le Conseil Constitutionnel dans une décision du 10 juin 2004[5] à propos de l’article 6 I 2 de la LCEN en estimant que « ces dispositions ne sauraient avoir pour effet d’engager la responsabilité d’un hébergeur qui n’a pas retiré une information dénoncée comme illicite par un tiers si celle-ci ne présente pas manifestement un tel caractère ».

C’est également ce qu’a jugé la Cour d’appel de Paris dans un arrêt rendu le même jour[6], à savoir qu’en l’absence de contenus manifestement illicites, l’hébergeur n’est pas tenu de retirer un article qu’on lui signale.

Dans cet arrêt, la Cour d’appel a confirmé l’ordonnance de référé en énonçant que l’article litigieux relevait du domaine de la liberté de critique et d’expression, sans qu’il puisse être considéré comme abusif.

La Cour a en effet rappelé que seuls certains contenus expressément visés par la loi en matière de pornographie enfantine, d’incitation à la haine raciale et d’apologie des crimes contre l’humanité doivent être supprimés par l’hébergeur sans attendre l’intervention d’une décision de justice.

 

 

Par conséquent, si vous souhaitez voir supprimé un contenu en ligne, nous vous recommandons de :

–          contacter l’hébergeur afin d’en demander le retrait en justifiant de son caractère illicite ;

–          en parallèle, procéder à un constat d’huissier en bonne et due forme afin de conserver la preuve de la publication litigieuse ;

–          envisager immédiatement la saisine du juge des référés en cas de refus de l’hébergeur de supprimer les contenus litigieux, ou en cas d’atteinte nécessitant l’appréciation d’un juge, telle qu’une diffamation ou une atteinte à un droit de propriété intellectuelle.

 
 

Claudia WEBER, Avocat Associée, Viola MOREL, Avocat

ITLAW Avocats

www.itlaw.fr



[1] Loi n°2004-265 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique

[2] Cour d’appel de Paris 30 avril 2003

[3] Cour d’appel de Paris 17 novembre 2006

[4] Cour d’appel de Paris 16 novembre 2005

[6] Cour d’appel de Paris, 4 avril 2013

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