Déjà pris en compte dans la pratique judiciaire, le secret des affaires, depuis la loi du 30 juillet 2018, bénéficie d’une protection nouvelle, à la fois attendue et susceptible de modifier la procédure permettant la collecte de preuves prévue à l’article 145 du Code de procédure civile.

Depuis la loi du 30 juillet 2018 1 sur le secret de affaires, le Code de commerce s’est enrichi d’un nouveau titre dédié à « la protection du secret des affaires ».

Désormais « Est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants :

1° Elle n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ;
2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ;
3° Elle fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret. » 2

Le texte ne distingue pas selon la nature, l’objet ou le support des informations qui peuvent donc concerner des documents, formules, méthodes, technologies (codes informatiques), etc. Le bénéfice de la protection dépend de la volonté du détenteur de protéger une information qu’il estime devoir rester secrète et des mesures prises par lui pour conserver ce caractère secret.

L’application de l’article 145 du CPC

Le secret des affaires est souvent un enjeu de la mise en œuvre de l’article 145 du Code de procédure civile. Selon ce texte, « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. »

Parfois appelée « référé probatoire », cette procédure peut être non contradictoire, ce qui présente l’intérêt de ne pas informer préalablement la personne concernée et de limiter ainsi le risque de dissimulation des preuves recherchées. Cependant, il existe un risque d’atteinte au secret des affaires.

Lorsqu’une telle atteinte est caractérisée, les conséquences pour l’initiateur de la procédure ne sont pas négligeables : annulation de la procédure, destruction des pièces saisies ou encore condamnation à des dommages et intérêts. Elles le sont également pour la personne visée par la mesure.

Avant la loi de juillet 2018, le recours, dans la pratique judiciaire, à la mise sous séquestre des éléments obtenus lors de l’exécution de la mesure d’instruction, protégeait déjà le secret des affaires.

Avec cette loi, et son décret d’application du 11 décembre 2018, les modalités de la recherche de l’équilibre entre l’accès aux preuves et la protection du secret des affaires sont précisées et encadrées.

Vers une modification des pratiques

Selon notre expérience, deux points peuvent d’ores et déjà être soulignés :

  • la définition du secret des affaires donnée par le Code de commerce apparaît restrictive. Désormais pour bénéficier de cette protection, il est nécessaire de prouver l’existence de mesures mises en œuvre pour conserver à l’information son caractère secret. Cette définition sera-t-elle retenue dans le cadre de l’application de l’article 145 du Code de procédure civile ? Le juge saisi demandera-t-il au défendeur de la mesure d’apporter cette preuve ?
  • la création de nouveaux pouvoirs pour le juge qui peut notamment, dès lors qu’une partie invoque l’atteinte au secret des affaires « prendre connaissance seule de cette pièce (…) [ou] décider de limiter la communication ou la production de cette pièce à certains de ses éléments, en ordonner la communication ou la production sous une forme de résumé ou en restreindre l’accès, pour chacune des parties, au plus à une personne physique et une personne habilitée à l’assister ou la représenter ». 3

En conclusion, la nouvelle définition du secret des affaires, sans interdire ni restreindre la mise en œuvre de la procédure au visa de l’article 145, va indéniablement conduire à une modification des pratiques en la matière.

Dans l’attente des premières décisions, on ne peut qu’insister sur la nécessité pour l’entreprise d’identifier ce qu’elle considère être ses secrets d’affaire et de mettre en place les procédures garantissant la pérennité de leur caractère secret.

[1] Loi du 30 juillet 2018 n°2018-670 transposant en droit français la directive européenne 2016/943

[2] Article L.153-1 du Code de commerce

[3] Articles L.153-1 et R.152-1 du Code de commerce

Jean-Christophe Ienné, avocat directeur du pôle PI, Internet, médias et audiovisuel et Marine Hardy, avocate responsable du pôle Innovations & sécurité

Le Journal du management n°68, Dossier droit du contentieux et arbitrage, Legi Team Editions, janvier-février 2019

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