Dans un arrêt du 4 juin dernier[1], la chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé la décision de la Cour d’appel de Poitiers ayant condamné la MAIF à indemniser IBM suite aux difficultés liées à la réalisation d’un projet d’intégration d’un nouveau progiciel pour la MAIF, rappelant à cette occasion les conditions d’application de la novation dans les contrats.

 

Afin de comprendre la décision de la Cour, un bref rappel des faits s’impose :

–          La MAIF a conclu avec IBM le 14 décembre 2004 un contrat d’intégration clef en main pour la mise en œuvre d’un projet « GRS » (gestion de la relation sociétaire) d’installation d’un progiciel de CRM, pour un montant forfaitaire de 7,3 millions d’euros ;

  • IBM s’engageait ainsi à fournir, dans le cadre d’une obligation de résultat, une solution intégrée conforme au périmètre fonctionnel et technique convenu entre les parties, en respectant un calendrier impératif et pour un prix forfaitaire et définitif.

–          Compte tenu des difficultés et retards accumulés dans la réalisation du projet, les parties ont signé deux protocoles d’accord – respectivement les 30 septembre et 22 décembre 2005 – réajustant notamment le calendrier prévisionnel d’achèvement et les conditions financières, le forfait étant augmenté de 3 500 000 € ;

–          En raison de « l’infaisabilité technique du projet initial » établie par les parties, IBM a proposé un scénario de refonte du projet à la MAIF pour un coût de 15 000 000 €, que la MAIF a refusé, notamment au regard du forfait initialement prévu ;

–          Face à l’impossibilité d’IBM à présenter un scénario alternatif permettant le redémarrage du projet, la MAIF a décidé en juin 2006 de mettre fin au projet GRS et de rompre le contrat pour manquement d’IBM à ses engagements ;

–          IBM a assigné la MAIF le 12 septembre 2006 en paiement des factures dues, la MAIF a alors formé une demande reconventionnelle en dommages-intérêts à l’encontre d’IBM.

 

Côté procédure, dans son jugement du 14 décembre 2009, le TGI de Niort avait :

  • prononcé la nullité du contrat de 2004 et des deux protocoles de 2005 pour cause de dol[2] de la part d’IBM ;
  • condamné IBM au remboursement des sommes versées par la MAIF ainsi qu’à l’indemnisation de cette dernière pour le préjudice subi, en raison des réticences dolosives et tromperies dont IBM s’était rendue coupable, en s’abstenant notamment d’informer la MAIF des risques de dépassement du forfait initialement conclu, compte tenu du périmètre du projet et en laissant croire à la MAIF qu’elle maîtrisait l’ensemble des paramètres du projet.

Selon les juges, le consentement de la MAIF avait ainsi été vicié.

 

La Cour d’appel de Poitiers a, quant à elle, dans un arrêt du 25 novembre 2011, condamné la MAIF à verser des dommages-intérêts à IBM. Les juges s’étaient en effet fondés sur le rapport de  l’expertise ordonnée par le tribunal en 2006 pour décider que la MAIF ne pouvait être qualifiée de profane en informatique compte tenu, notamment :

  • du fait que la MAIF disposait d’une direction informatique « très étoffée » ;
  • de l’échec premier du projet informatique préalablement confié à l’éditeur Siebel qui avait éclairé la MAIF sur les difficultés et les risques associés à ce projet ;
  • de la revue par la MAIF du plan projet rédigé par IBM et annexé au contrat d’intégration de 2004 ;
  • du fait que la MAIF avait accepté de réévaluer le montant du forfait par la signature du protocole d’accord du 22 décembre 2005, donc en connaissance du surcoût lié à la révision du projet initial.

Les juges du fond – approuvés par la Cour de cassation – ont ainsi écarté le dol d’IBM en considérant que la MAIF était un professionnel averti ayant disposé de moyens d’information lui permettant d’apprécier les risques encourus, et qu’il n’était pas avéré qu’IBM ait dissimulé « volontairement à la MAIF des informations majeures relatives au calendrier, au périmètre, au budget du projet ».

 

En outre, les demandes d’indemnisation de la MAIF avaient été rejetées par la Cour d’appel, estimant que par la signature des 2 protocoles d’accord litigieux :

  • la MAIF avait accepté la redéfinition du projet « en connaissance du vice initial qui affectait le contrat du 14 décembre 2004, et afin de le réparer la MAIF a nécessairement renoncé à se prévaloir de la possibilité d’en contester l’efficacité » ;
  • une substitution de ces nouveaux accords aux engagements du contrat de 2004 -qui se trouvaient donc supprimés et remplacés – s’était opérée.

IBM se trouvait ainsi exonéré des engagements initiaux figurant dans le contrat d’intégration signé en 2004 avec la MAIF.

 

C’est ce dernier point qui est ici contesté par les juges du droit, à la lumière de la notion de novation. En effet, la question se posait de savoir si les accords de 2005 postérieurs au contrat d’intégration conclu entre les parties avaient ou non remis en cause les engagements initiaux d’IBM dont la MAIF contestait le respect ?

Rappelons que la novation suppose :

–          la création d’une obligation nouvelle, distincte dans sa nature ou sa substance de l’obligation préexistante ;

–          extinction de l’obligation initiale ;

–          l’intention de nover des parties.

La doctrine considère en effet qu’il n’y a pas novation lorsque, sauf volonté certaine des parties, les modifications affectent seulement les modalités de l’obligation, spécialement les conditions de son exécution.

En l’espèce, pour contester l’argument des juges du fond ayant admis la substitution des engagements issus des protocoles signés en 2005 par les parties au contrat d’intégration de 2004, la Cour rappelle les dispositions de l’article 1273 du Code civil[3], selon lesquels la novation ne se présume pas, en ces termes :

–   « Attendu qu’en se déterminant ainsi, sans relever d’éléments faisant ressortir que la MAIF ait manifesté, sans équivoque, sa volonté, à l’occasion de la signature des protocoles des 30 septembre et 22 décembre 2005, de substituer purement et simplement aux engagements initiaux convenus par les parties dans le contrat d’intégration du 14 décembre 2004 de nouveaux engagements en lieu et place des premiers, la cour d’appel a privé sa décision de base légale »

Le pourvoi formé par IBM a donc été rejeté et l’affaire a été renvoyée devant la Cour d’appel de Bordeaux.

Celle-ci aura la charge de déterminer quels engagements du contrat initial demeurent en vigueur après la signature des deux protocoles litigieux et sont susceptibles d’engager la responsabilité d’IBM.

 

En conclusion :

–          Si vous êtes coté Prestataire, soyez prudents face aux projets informatiques complexes de vos clients :

  • ne minimisez  pas les difficultés, les risques et les coûts du projet – même si votre client exige un forfait,
  • prenez en compte le niveau de connaissances de votre client dans le domaine informatique et sa collaboration ou son absence de collaboration au cours de l’exécution des prestations, qui détermineront notamment l’étendue de votre obligation d’information,
  • prévoyez les possibilités d’évolution du projet et de vos engagements contractuels ;

 

–          Si vous êtes client :

  • ne négligez pas les conséquences de la structure/composition de votre département informatique : intégrer des clauses spécifiques dans votre contrat pour éviter que votre propre professionnalisme se retourne contre vous ;

 

 –        Soyez vigilants si vous êtes amenés à conclure des accords postérieurs au contrat que vous avez signé avec vos clients/prestataires,  tels que des avenants ou autres protocoles/conventions/conditions spécifiques :

  • si votre souhait est de les substituer au contrat initial, il faudra veiller à le rédiger de telle manière que la volonté certaine et non équivoque des parties en ressorte explicitement,
  • à l’inverse – en particulier si vous êtes côté client – veillez à ce que ces modifications n’éteignent pas les engagements initiaux de votre co-contractant et ne renoncez pas de manière systématique à vous en prévaloir !

 

Bien évidemment, nous ne manquerons pas de vous tenir informés de l’épilogue de cette saga judiciaire…

 

Claudia Weber, Avocat associé et Viola Morel, Avocat collaborateur

ITLAW Avocats



[1] Cour de cassation Chambre commerciale Arrêt du 4 juin 2013, MAIF / IBM n° 12-13002

[2] L’article 1116 du Code civil précise que « Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles, qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté. Il ne se présume pas et doit être prouvé ».

[3] « La novation ne se présume point ; il faut que la volonté de l’opérer résulte clairement de l’acte ».

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