Les clauses limitatives de responsabilité ont-elles vocation à survivre à la résolution du contrat ?

Par un arrêt du 9 septembre 2022 n°20/03880, la Cour d’appel de Paris condamne Oracle à verser plus de 3.5 millions de dommages et intérêts à Gravotech.

La décision de la cour est intéressante tant pour sa position sur l’indivisibilité des contrats que sur le sort des clauses limitatives de responsabilité lors de la résolution d’un contrat.

Que s’est-il passé ?

  • Depuis 2002, la société Gravotech et ses filiales (ci-après « Gravotech ») utilisaient un logiciel de planification des ressources d’entreprise (ERP) distribué par Oracle.
  • En 2010, Gravotech demande à Oracle de migrer le logiciel vers une nouvelle version en raison de l’arrêt prochain du support de l’ancienne version. A cet effet, 9 contrats sont conclus entre les parties (ci-après les « Contrats »).
  • Gravotech reproche à Oracle des dérives calendaires et budgétaires lors du projet de migration, et le met en demeure de terminer le projet et de l’indemniser pour les retards causés.
  • En 2013, Gravotech assigne Oracle devant le tribunal de commerce de Paris. En 2014, une expertise est ordonnée et le rapport est déposé en 2017.
  • En janvier 2020, le tribunal de commerce de Paris juge que l’ensemble contractuel a été résilié aux torts exclusifs de Gravotech.
  • Gravotech interjette appel de ce jugement, afin que soit ordonné la résolution des Contrats conclus avec Oracle, aux torts exclusifs de ce dernier.

La décision de la Cour d’Appel de Paris

La cour d’appel de Paris prononce la résolution pour faute de l’ensemble contractuel, considérant celui-ci comme étant était indivisible, et (ii) écarte l’application des clauses limitatives de responsabilité prévues aux Contrats.

1/ Sur la résolution de l’ensemble contractuel

Des contrats peuvent être considérés comme indivisibles lorsqu’ils concourent tous à la réalisation d’une même opération et qu’ils ne trouveraient pas d’utilité l’un sans l’autre. A titre d’exemple, les contrats de maintenance de logiciels sont régulièrement jugés indivisible du contrat de licence de logiciel afférent.

  • En l’espèce, la cour d’appel de Paris relève d’abord que, d’une part, les Contrats ont le même but, i.e. la migration du logiciel vers la nouvelle version, et d’autre part, que les services visés sont identiques. Les Contrats constituent donc un ensemble indivisible.
  • La cour d’appel de Paris relève ensuite qu’Oracle, en sa qualité de maître d’œuvre, aurait dû (i) alerter Gravotech sur la nécessité de faire intervenir un intégrateur et, (ii) en tout état de cause, a mal évalué les coûts et délais nécessaires à l’aboutissement du projet.
  • Au regard de ces manquements, les magistrats prononcent la résolution de l’ensemble contractuel aux torts exclusifs d’Oracle, condamnant ce dernier à verser à Gravotech 3 555 400€ de dommages et intérêts.

2/ Sur la non-survivance des clauses limitatives de responsabilité

 Oracle tente d’invoquer les clauses limitatives de responsabilité prévues aux Contrats.

  • Cependant, la cour d’appel de Paris balaie l’argument en relevant « à titre liminaire que les clauses limitatives de responsabilité ne peuvent recevoir application dans la mesure où les contrats litigieux qui en sont le support sont anéantis. »
  • La clause limitative de responsabilité qui a pour but principal d’encadrer la responsabilité de l’éditeur et de plafonner le montant des indemnités qu’il serait contraint de verser à son client en cas de manquement, se voit ici privée d’effet par la cour d’appel.
  • L’arrêt a été rendu sous l’ancien régime du droit des obligations, et il est intéressant de se demander si la solution retenue serait semblable pour les contrats conclus postérieurement à la réforme de 2016. En effet, notons que :
    • Le nouvel article 1230 du Code civil, qui dresse une liste non-exhaustive des clauses ayant vocation à survivre à la résolution ne mentionne pas explicitement la clause limitative de responsabilité :

« La résolution n’affecte ni les clauses relatives au règlement des différends, ni celles destinées à produire effet même en cas de résolution, telles les clauses de confidentialité et de non-concurrence ».

  • Cependant, le Sénat, dans son rapport sur le projet de loi ratifiant l’ordonnance portant réforme du droit des contrats, précise au sujet du futur article 1230 du Code civil que :

« La règle s’applique sans contestation à toutes les clauses qui ont pour objet de produire effet même en cas de rupture de la relation contractuelle, telles que les clauses relatives au règlement des différends, les clauses pénales prévues en cas d’inexécution ou les clauses limitatives de responsabilité »[1].

  • Par mesure de prudence, nous recommandons aux éditeurs, prestataires, de prévoir expressément la survivance de la clause limitative de responsabilité dans vos contrats.

Ce qu’il faut retenir

  • Si vous concluez un ensemble de contrats qui concourent tous à la réalisation d’une même opération et qui ne trouvent pas d’utilité l’un sans l’autre, les juges peuvent considérer l’ensemble comme un tout indivisible, et prononcer la résolution dudit ensemble.
  • Si votre intérêt est de limiter et plafonner votre responsabilité, alors nous recommandons de prévoir expressément la survivance de la clause limitative de responsabilité dans vos contrats.

 

Claudia Weber, avocat fondateur et Brian Robion, avocat| ITLAW Avocats

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[1] Sénat, session ordinaire de 2017-2018 – Rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale sur le projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. (https://www.senat.fr/rap/l17-022/l17-0221.pdf)

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