Selon les circonstances, la publicité donnée à une action en contrefaçon peut être légitime ou fautive. Ainsi, dans un arrêt du 9 janvier 2019, la chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé que le fait pour une société de divulguer l’existence d’une action en contrefaçon, n’ayant pas encore abouti à une décision de condamnation, auprès de clients de la société poursuivie est constitutif d’un acte de dénigrement fautif.

Les faits à l’origine de cette affaire étaient les suivants. La société Keter Plastic, spécialisée dans la fabrication de meubles de jardins, dont la distribution était confiée à la société Plicosa, avait assigné pour contrefaçon de modèles communautaires la société italienne Shaf, également spécialisée dans la conception et la fabrication de meubles de jardin en plastique. La société Plicosa ayant diffusé l’existence de l’action en contrefaçon auprès de clients de la société Shaf, cette dernière a considéré qu’il s’agissait d’une campagne de dénigrement de ses meubles de jardin et l’a assignée en réparation du préjudice résultant des faits allégués de concurrence déloyale.

Par un attendu de principe repris d’une précédente décision de la 1re chambre civile du 11 juillet 2018, la chambre commerciale de la Cour de cassation juge que

même en l’absence d’une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l’une, d’une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l’autre constitue un acte de dénigrement, à moins que l’information en cause ne se rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu’elle soit exprimée avec une certaine mesure“.

La Cour commence par classiquement qualifier les actes de divulgation de la procédure en contrefaçon, auprès de clients du supposé contrefacteur, d’actes de dénigrement fautif de nature à engager la responsabilité délictuelle de l’auteur de la divulgation.

Puis, en application des dispositions de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, dont l’objet est de garantir la liberté d’expression, la Cour rappelle que la diffusion de propos dénigrants n’engage pas la responsabilité de leur auteur si les trois conditions cumulatives suivantes sont réunies :

  • les propos contestés relèvent d’un débat d’intérêt général,
  • reposent sur une base factuelle suffisante,
  • sont exprimés avec mesure.

En l’espèce, la Cour relève que les propos litigieux ne reposent pas sur une base factuelle suffisante car ils s’appuyaient sur la seule assignation de la société Keter Plastic, c’est-à-dire sur les seules allégations du demandeur, sans qu’elles n’aient pu être débattues contradictoirement ni validées par une décision de justice.

La diffusion d’allégations de contrefaçon sur la seule base d’une assignation constitue donc en elle-même un acte de dénigrement fautif.

Il en va différemment lorsque la réalité de la contrefaçon est affirmée par une décision de justice. Alors, la victime peut, sauf abus, procéder à ses propres frais à toute mesure de publicité de la condamnation prononcée à son bénéfice, même si la juridiction a déjà ordonnée une mesure de publication de sa décision (par exemple, Cass. com. 18 octobre 2017, 15-27136).

Il arrive toutefois que la divulgation d’une action en justice, sur la seule base de l’assignation, puisse être justifiée. C’est le cas lorsque la divulgation prend place dans le cadre d’un débat d’intérêt général. En ce sens, la Cour de cassation a considéré que le ministre en charge de l’économie pouvait communiquer sur une instance en cours introduite à son initiative et fondée sur l’article L.442-6 I du Code de commerce relatif aux pratiques restrictives. Dans un arrêt du 26 avril 2017, la chambre commerciale retient ainsi que

“le ministre, gardien de l’ordre public économique, n’avait effectué aucune publicité en communiquant sur les assignations dirigées contre neuf enseignes de la distribution, dont la société Darty, mais avait rempli son rôle d’information à l’égard des consommateurs concernant son action fondée sur les dispositions de la loi du 4 août 2008, dite LME, et alerté les opérateurs économiques quant à sa vigilance concernant l’équilibre des négociations commerciales”

(Cass. com 26 avril 2017, 15-27865).

Dans cette décision, la divulgation de la procédure était pleinement justifiée par le fait qu’elle avait pour but de nourrir un débat d’intérêt général impliquant l’ensemble des consommateurs.

En conclusion, la personne qui engage une action en contrefaçon doit calibrer sa communication avec soin :

  • tant que l’action n’a pas donné lieu à une décision de condamnation d’une juridiction, la victime doit éviter de donner à son action une publicité, notamment auprès des clients du contrefacteur supposé ;
  • à partir du moment où l’action a donné lieu à une décision de condamnation du contrefacteur, la victime peut la diffuser, même au-delà des mesures de publication spécifiques ordonnées par la juridiction, sauf abus.

Jean-Christophe Ienné, avocat, directeur des pôles Propriété intellectuelle & industrielle, Médias & Audiovisuel et Internet et Mathieu Vincens, juriste

 

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