L’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme garantit le droit à la liberté d’expression. Ce droit n’est toutefois pas sans limites et peut-être soumis à certaines restrictions, notamment pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles. C’est le cas de la disposition du Code de commerce qui assure la confidentialité des échanges intervenant dans le cadre d’une mesure de prévention des difficultés des entreprises en amont de l’ouverture d’une procédure collective.

 

Les sociétés du groupe Consolis, en difficulté financière, avaient obtenu la désignation d’un mandataire ad hoc chargé de rechercher un rapprochement avec les créanciers du groupe, de manière à prévenir une procédure de redressement judiciaire.

 

L’article L611-15 du Code de commerce prévoit qu’une telle procédure est confidentielle, afin de ne pas fragiliser la société qui y a recours.

 

La société Mergermarket Limited édite le site d’informations Debtwire, spécialisé dans le suivi de l’endettement des entreprises et accessible à ses seuls abonnés. Plusieurs articles ont été mis en ligne sur ce site, rendant compte de manière détaillée du déroulement des réunions intervenues et divulguant, notamment, de nombreuses données chiffrées et nominatives concernant la situation d’endettement des sociétés du groupe Consolis.

 

Le groupe Consolis a assigné la société éditrice devant le juge des référés aux fins obtenir le retrait de l’ensemble des articles contenant des informations confidentielles, ainsi que l’interdiction de publier d’autres articles similaires.

 

Statuant sur renvoi après cassation, la cour d’appel de Paris a fait droit à la demande des sociétés du groupe Consolis. La société éditrice s’est de nouveau pourvue en cassation.

 

La société Mergermarket soutenait que ses publications répétées relevaient de l’exercice de la liberté d’expression garanti par l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme. Si ce texte garantit la liberté d’expression, il n’en fait pas un droit absolu. Il précise donc les conditions dans lesquelles cette liberté peut être restreinte, qui sont les suivantes :

  • la restriction doit être prévue par la loi ;
  • elle doit être “strictement nécessaire dans une société démocratique“, c’est-à-dire proportionnée au but à atteindre ;
  • elle doit avoir pour objet l’une des finalités prévues par le texte, notamment “empêcher la divulgation d’informations confidentielles“.

 

Dans son arrêt du 13 février 2019 n°17-18.049, la chambre commerciale de Cour de cassation a constaté que les articles litigieux divulguaient des informations couvertes par la confidentialité prévue par l’article L. 611-15 du Code de commerce et que ces articles

 

“n’étaient pas de nature à nourrir un débat d’intérêt général sur les difficultés d’un grand groupe industriel et ses répercussions sur l’emploi et l’économie nationale, mais tendaient principalement à satisfaire les intérêts de ses abonnés, public spécialisé dans l’endettement des entreprises, et que leur publication risquait de causer un préjudice considérable aux sociétés du groupe Consolis  ainsi qu’aux parties appelées à la procédure de prévention amiable et de compromettre gravement son déroulement et son issue”.

 

La Cour a donc validé la décision de la Cour d’appel d’ordonner le retrait des articles litigieux.

 

Il est toutefois possible de s’interroger sur le fait de savoir si l’article L. 611-15 du Code de commerce constitue bien en l’espèce une restriction pertinente prévue par la loi, dans la mesure où ce texte impose une obligation de confidentialité à “toute personne qui est appelée à la procédure de conciliation ou à un mandat ad hoc ou qui, par ses fonctions, en a connaissance” et où la société Mergermarket n’est pas l’une de ces personnes.

 

Quoi qu’il en soit, pour la Cour de cassation, l’article L.611-15 du Code de commerce constitue bel et bien une restriction prévue par la loi au sens de l’article 10.2 de la Convention européenne des droits de l’homme. Dès lors, les informations couvertes par la confidentialité ne pourraient être diffusées qu’à la condition que celles-ci contribuent à l’information légitime du public sur une question d’intérêt général.

 

Tel n’est pas le cas en l’espèce, puisque le site Debtwire est un site commercial qui diffuse des informations à ses abonnés, contre rémunération. C’était donc en réalité la poursuite de son activité commerciale que la société Mergermarket entendait sanctuariser sous couvert de liberté d’expression.
 

Jean-Christophe Ienné, avocat, directeur des pôles Propriété intellectuelle & industrielle, Médias & Audiovisuel et Internet et Pauline Vital, avocat

 

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