Les actions en contrefaçon et en concurrence déloyale sont souvent exercées ensemble.

Pour être accueillie, l’action en concurrence déloyale doit alors reposer sur des faits distincts de ceux caractérisant la contrefaçon. Toutefois, des faits insuffisants pour fonder l’action en contrefaçon peuvent néanmoins fonder l’action en concurrence déloyale. Deux arrêts récents de la Cour de cassation illustrent l’articulation de ces deux actions.

Les faits soumis à la Cour de cassation dans les deux affaires étaient très proches. Dans les deux cas, une société reprochait à une autre société de commercialiser des produits identiques aux siens et regroupés dans une collection semblable à la sienne. Les demandes étaient présentées de manière similaire :

  • demande en contrefaçon pour ce qui concerne l’imitation des produits,
  • demande en concurrence déloyale pour ce qui concerne la reprise de la méthode de commercialisation sous forme d’une gamme de produits.

La première chambre civile, dans un arrêt du 24 octobre 2018, et la chambre commerciale, dans un arrêt du 14 novembre 2018, ont donc eu à statuer sur le cumul des actions en contrefaçon et en concurrence déloyale. La première a accueilli l’action en concurrence déloyale alors que la seconde l’a rejetée.

Dans la première affaire, la société CLS, spécialisée dans la location de matériels pour réception, commercialisait une gamme d’assiettes et de soucoupes très similaires aux modèles composant un service de table créé et distribué par la maison Coquet.

La société Coquet a assigné la société CLS en contrefaçon de droit d’auteur et en concurrence déloyale.

Les juges du fond ont retenu, d’une part, que la reproduction des éléments caractéristiques de l’originalité des produits était constitutive de contrefaçon et, d’autre part, que l’effet de gamme qui était « susceptible d’accroître la confusion dans l’esprit de la clientèle » était constitutif d’actes distincts de la contrefaçon, condamnables au titre de la concurrence déloyale.

Dans son arrêt, la première chambre civile de la Cour de cassation a écarté la concurrence déloyale au motif que « la commercialisation d’une même gamme de produits est insuffisante à caractériser la commission d’actes de concurrence déloyale distincts de ceux sanctionnés au titre de la contrefaçon ».

Pour la première chambre, la concurrence déloyale reposant sur un effet de gamme est exclue dès lors que la contrefaçon de chaque élément de cette gamme est caractérisée.

Dans la seconde affaire, Mango avait proposé à la vente une gamme de vêtements similaires à celle commercialisée par la société Speaking Image.

Speaking Image a donc agi à l’encontre de Mango en contrefaçon de droit d’auteur, de marque, de dessins et modèles et en concurrence déloyale et parasitisme.

A la différence de la première affaire, la contrefaçon des différents vêtements n’a pas été retenue.

En revanche, les juges du fond ont accueilli l’action en concurrence déloyale, au motif que Mango avait créé un effet de gamme en constituant une seule collection à partir de la même gamme de vêtements que ceux commercialisés chaque saison, depuis dix ans, par la société Speaking Image, avec un succès commercial répété.

La chambre commerciale de la Cour de cassation a confirmé la décision de la Cour d’appel en jugeant que « l’action en concurrence déloyale, qui est ouverte à celui qui ne peut se prévaloir d’aucun droit privatif, peut se fonder sur des faits matériellement identiques à ceux allégués au soutien d’une action en contrefaçon rejetée, dès lors qu’il est justifié d’un comportement fautif ».

Pour la chambre commerciale, la concurrence déloyale reposant sur un effet de gamme peut être caractérisée alors qu’aucun élément de cette gamme n’est jugé contrefaisant.

Ces deux solutions peuvent paraître contradictoires à première lecture. Elles sont en réalité complémentaires et s’expliquent par le fait que dans un cas la contrefaçon est retenue mais pas dans l’autre. Ainsi :

  • Lorsque la contrefaçon est caractérisée, l’action en concurrence déloyale ne peut pas être accueillie si elle se fonde sur les mêmes faits que ceux invoqués à l’appui de la demande en contrefaçon. Le cumul des deux actions est donc interdit, sauf pour le demandeur à pouvoir justifier de faits distincts (détournement de clientèle, par exemple) de nature à caractériser une concurrence déloyale.
  • Lorsque la contrefaçon n’est pas retenue, l’action en concurrence déloyale peut se fonder sur des faits matériellement identiques à ceux invoqués à l’appui de la demande en contrefaçon, dès lors qu’un comportement fautif est constitué. L’action en concurrence déloyale se substitue alors à l’action en contrefaçon afin de permettre la réparation du préjudice subi.

A défaut, le demandeur pourrait bénéficier d’une double réparation de son préjudice, ce qui irait à l’encontre du principe essentiel de la réparation intégrale du préjudice que l’on résume généralement par la formule « tout le préjudice et rien que le préjudice ».

En conclusion, en présence d’un ensemble de faits relevant de la contrefaçon et de la concurrence déloyale, il est nécessaire d’analyser précisément les faits pour identifier les fondements juridiques susceptibles de fonder une action ainsi que les préjudices subis, de manière à hiérarchiser et  articuler les demandes.

Jean-Christophe Ienné, avocat, directeur des pôles Propriété intellectuelle & industrielle, Médias & Audiovisuel et Internet et Lamia El Fath, avocat

 

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